Deux manifestants ont été tués vendredi à Bagdad où les forces de sécurité ont repoussé des milliers de personnes massées devant la Zone verte, à la reprise d’un mouvement de contestation en Irak endeuillé début octobre par la mort de 150 personnes.

Peu après ces nouvelles morts, le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d’Irak, a appelé forces de sécurité et manifestants à la « retenue » pour éviter le « chaos » dans un pays déjà fragilisé selon lui par « les ingérences étrangères ».

Depuis la chute en 2003 du dictateur Saddam Hussein consécutive à l’invasion américaine du pays, l’Irak est le théâtre de jeux d’influence de ses deux grands alliés, l’Iran et les Etats-Unis, eux-mêmes ennemis et ne cesse de les appeler à ne pas utiliser son sol comme un champ de bataille par intermédiaires interposés.

Alors que le grand ayatollah Sistani avait donné au gouvernement jusqu’à ce vendredi pour répondre aux demandes des manifestants, il a de nouveau appelé à la réforme et à la fin de la corruption, l’une des revendications premières des manifestants.

Dans la matinée, les policiers anti-émeutes déployés en masse dans les rues de Bagdad  ont tiré un barrage de grenades lacrymogènes pour éloigner les manifestants de la Zone verte où siègent le pouvoir irakien et l’ambassade des Etats-Unis.

Les deux manifestants tués dans la capitale irakienne auraient été touchés au visage par ces grenades, a indiqué un membre de la Commission gouvernementale des droits de l’Homme.

Chassés des abords de la Zone verte, les manifestants sont retournés sur l’emblématique place Tahrir, séparée de la cette zone par le pont al-Joumhouriya.

Les manifestations avaient repris sur cette place jeudi soir et les protestataires qui y ont dormi ont ensuite été rejoints par d’autres vendredi. Ils attendent désormais l’arrivée des nombreux partisans du turbulent leader chiite Moqtada Sadr.

En 2016, ces derniers avaient pris la Zone verte et occupé l’ensemble des institutions du pays.

– « Dignité! » –

Les manifestants n’ont qu’un mot d’ordre, « la chute du régime des voleurs », dans un riche pays pétrolier en pénurie chronique d’électricité et d’eau potable et, surtout, miné par la corruption.

Déclenchées spontanément le 1er octobre par des appels sur les réseaux sociaux, les manifestations avaient été marquées jusqu’au 6 octobre par la mort de 157 personnes, quasiment tous des manifestants et en très grande majorité à Bagdad, selon le bilan officiel.

Moqtada Sadr avait, en prévision des nouveaux rassemblements, appelé ses partisans à défiler et ses combattants à « protéger » les manifestants, faisant redouter plus de violences.

« Je veux ma part du pétrole », a dit une manifestante place Tahrir, alors que 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté dans ce pays à majorité chiite.

Pour un autre protestataire, la question est plus large. « On n’a pas faim, on réclame la dignité. On a seulement besoin d’un pays, c’est tout », s’époumone-t-il, sans « les soi-disant représentants du peuple qui ont accaparé toutes les ressources ».

Des défilés ont également lieu dans plusieurs villes  au sud de Bagdad, dont la ville sainte chiite de Najaf et Nassiriya, comme début octobre.

– Soutien des milices pro-Iran –

Face à la contestation qui s’est interrompue le temps du plus important pèlerinage du calendrier chiite pour reprendre le jour du premier anniversaire de l’entrée en fonctions du gouvernement d’Adel Abdel Mahdi, le Premier ministre avait annoncé des mesures sociales.

Mais il n’avait annoncé aucune réforme en profondeur et aucune mesure contre des « gros poissons » dans le 12e pays le plus corrompu au monde, selon Transparency International.

La rue veut, elle, une nouvelle Constitution et un renouvellement total de la classe politique.

Le gouvernement peut toutefois toujours compter sur le puissant Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires dominée par les milices chiites pro-Iran – deuxième bloc au Parlement et membre de la coalition gouvernementale. Plusieurs de ses chefs lui ont redit ces derniers jours leur « confiance ».

Avant les nouvelles manifestations, la mission de l’ONU en Irak avait appelé le gouvernement à « tirer les leçons » et à « prendre des mesures concrètes pour éviter la violence ».

Comme début octobre, les appels à manifester concernent la plupart des provinces du sud, chiite et tribal.

Le Kurdistan autonome (nord) se tient généralement loin des turbulences.

Dans le nord et l’ouest, majoritairement sunnites et repris il y a deux ans au groupe Etat islamique (EI), personne n’a défilé, les militants disant redouter d’être réprimés et accusés de « terrorisme » ou de « soutien à l’ex-régime de Saddam Hussein », des étiquettes déjà accolées aux manifestants par leurs détracteurs.