Le gouvernement du Zimbabwe a décidé de doubler dimanche le prix des carburants pour tenter d’enrayer sa plus grave pénurie de pétrole depuis dix ans, suscitant aussitôt une vague d’indignation dans un pays au bord de l’effondrement financier.
Depuis près de vingt ans, l’économie zimbabwéenne est engluée dans une inextricable crise, victime de l’absence de liquidités, de l’inflation et d’un chômage de masse. Son effondrement s’est encore accéléré ces derniers mois, caractérisé par une pénurie de denrées de base comme le pétrole.
Pour briser les kilomètres de queue qui se sont formés devant les stations-service du pays, le président Emmerson Mnangagwa n’a eu d’autre choix que d’annoncer une forte hausse des prix.
Depuis minuit samedi, le litre de diesel est passé de 1,36 à 3,11 dollars américains, celui de l’essence de 1,24 à 3,31 dollars.
Cette augmentation vise à remédier à « la pénurie persistante de carburant due à la hausse de la consommation dans l’économie et aux activités illégales liées aux taux de change et au commerce (de pétrole) », a expliqué tard samedi soir le chef de l’Etat à la télévision nationale.
Sans surprise, elle a été immédiatement dénoncée.
La Confédération syndicale du Zimbabwe (ZCTU) a affirmé que cette mesure « provocatrice » allait « ajouter encore plus de misère à la souffrance des classes laborieuses » et appelé, sur Twitter, la population à ne pas aller travailler à partir de lundi.
« Le fait que cette hausse du pétrole va provoquer une augmentation de tous les autres produits est aussi évident que l’incapacité de la Zanu-PF (le parti au pouvoir) à gouverner et à rendre le Zimbabwe prospère », a renchéri le porte-parole de l’opposition, Jacob Mafume.
– Fuite des dollars –
Cette semaine, le ministre des Finances Mtuli Ncube a expliqué la pénurie de pétrole par la faiblesse de ses prix au Zimbabwe comparés à ceux pratiqués dans les Etats alentour. Des étrangers en profitent pour en acheter au Zimbabwe et le revendre à l’étranger, a-t-il dénoncé.
La hausse des prix des carburants vise donc à les aligner sur ceux de ce marché noir, afin de dissuader toute spéculation.
Certains analystes l’attribuent aussi la pénurie au manque de liquidités de l’Etat, notamment en dollars.
Le Zimbabwe a abandonné en 2009 sa devise nationale en chute libre, victime de l’hyperinflation, au profit du dollar américain.
Mais les précieux billets verts se sont faits de plus en plus rares, au point d’étrangler l’économie. En 2016, le gouvernement a alors introduit des « bonds notes », des sortes d’obligations d’une même valeur que les billets verts.
Mais, faute de la confiance des opérateurs économiques, leur valeur a vite baissé. Au marché noir, ils s’échangent actuellement à un taux d’environ trois pour un dollar.
Samedi, le ministre des Finances a confirmé que son pays comptait réintroduire son dollar zimbabwéen d’ici à la fin 2019 afin de remédier à cette situation.
Dimanche, les automobilistes de la capitale Harare ont accueillie la mesure sans illusion.
– « Folie des prix » –
« La hausse des prix ne changera rien », a rouspété Chassen Mugogo, coincé depuis deux nuits dans une file de véhicules pour faire son plein. « Les prix du marché parallèle vont eux aussi grimper, c’est le chien qui se mord la queue ».
« Il n’y a pas besoin d’être un ingénieur spatial pour comprendre que nous allons tout droit vers une nouvelle folie des prix », a renchéri William Masuku, un vendeur de voiture de la deuxième ville du pays, Bulawayo (sud).
Anticipant ces craintes, M. Mnangagwa a annoncé que les entreprises du pays bénéficieraient d’un « rabais » sur les prix. « La volatilité sera temporaire, les prix se normaliseront ensuite », a lui aussi tenté de rassurer son vice-ministre de l’Information, le bien-nommé Energy Mutodi.
Depuis qu’il a succédé à Robert Mugabe fin 2017, Emmerson Mnangagwa promet de relancer l’économie en multipliant les clins d’oeil aux investisseurs étrangers. En vain jusque-là.
Victimes de l’inflation, de la dépréciation des « bond notes » et des pénuries, les médecins et les enseignants se sont mis en grève ces dernières semaines, notamment pour exiger le paiement de leurs salaires en dollars américains.
Samedi soir, le président a promis un « paquet de mesures » pour les fonctionnaires, qui menacent à leur tour de faire grève.
Dans ce climat social très tendu, il a mis en garde « ceux qui tentent de profiter des pénuries de pétrole pour causer des troubles et l’instabilité dans le pays ».
Porte-drapeau des manifestations sévèrement réprimées de 2016, le pasteur Evan Mawarire ne l’a pas entendu. « Vous ne nous laissez pas le choix », lui a-t-il répondu, « il est l’heure de mobiliser tous ceux qui aiment vraiment le Zimbabwe ».