Colonisée pendant 132 ans par la France, l’Algérie doit récupérer vendredi les restes de 24 insurgés tués au début de l’occupation française, entreposés pendant des décennies au Musée de l’Homme à Paris, à la veille de la fête de son indépendance.

Les restes mortuaires -des crânes- sont attendus vers 12H30 locales (11H30 GMT) à l’aéroport international d’Alger. Les cercueils seront ensuite transférés au Palais de la Culture où le président algérien Abdelmadjid Tebboune les accueillera.

Les restes seront enterrés dimanche dans le carré des Martyrs au cimetière d’El Alia à Alger, selon les télévisions.

Cette restitution est un signe fort d’un dégel dans les relations entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale, marquées depuis l’indépendance en 1962 par des polémiques récurrentes des crispations et des malentendus.

Alors que cette relation volatile se nourrit de la perception à Alger que la France ne fait pas assez pour solder son passé colonial (1830-1962), M. Tebboune a annoncé vendredi devant des officers de l’armée le retour imminent en provenance de France « des dépouilles de 24 chefs de la Résistance populaire ».

Il a salué « ces héros qui ont affronté l’occupation française brutale, entre 1838 et 1865, et que l’ennemi sauvage a décapités en représailles avant de transférer leurs crânes outre-mer afin que leurs sépultures ne soient pas un symbole de la résistance ».

« Les morceaux des corps (…) rentrent à la maison après leur très long séjour dans les cartons du musée de l’Homme à Paris », s’est félicitée Malika Rahal, historienne spécialiste de l’Algérie, sur Twitter.

– « Crime contre l’humanité » –

De fait, ce n’est qu’en janvier 2018 que l’Algérie avait demandé officiellement à la France la restitution des crânes -plusieurs dizaines- et des archives coloniales.

Lors d’une visite à Alger en décembre 2017, le président français Emmanuel Macron s’était engagé à restituer les restes humains algériens entreposés au Musée de l’Homme, un des sites du Muséum national d’histoire naturelle.

La même année, mais avant son élection, M. Macron avait qualifié à Alger la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité ».

Fin 2017, le président du Muséum, Bruno David, avait fait savoir que l’institution était « prête pour accompagner le processus de restitution ». « Ces restes humains sont entrés dans nos collections d’anthropologie à la fin du XIXe siècle. »

Vendredi, Paris n’avait pas réagi à cette restitution.

C’est un historien algérien, Ali-Farid Belkadi, qui a soulevé en 2011 la question des crânes après des recherches au musée. Il déplorait alors que les crânes soient « calfeutrés dans de vulgaires boîtes cartonnées, qui évoquent les emballages de magasins de chaussures ». Une critique réfutée par la direction du musée.

Plusieurs pétitions signées notamment par des historiens avaient réclamé le retour de ces restes en Algérie.

– Apaisement diplomatique –

A la veille du 58e anniversaire de l’Indépendance, célébré dimanche, ce geste manifeste une volonté d’apaisement après une énième brouille diplomatique concernant celle-là la diffusion fin mai d’un documentaire français sur la jeunesse algérienne s’exprimant contre le pouvoir algérien, confronté à un mouvement de contestation depuis février 2019.

Il intervient par ailleurs en plein débat sur les exactions des anciennes puissances coloniales dans le monde après la mort de George Floyd, un quadragénaire noir asphyxié par un policier blanc aux Etats-Unis.

La question mémorielle reste au coeur des relations volatiles entre l’Algérie et la France.

Les députés algériens viennent d’adopter une loi « historique » instaurant une journée de la Mémoire, le 8 mai, en souvenir des massacres de 1945 commis par les forces françaises à Sétif et dans le Constantinois (est).

Les autorités algériennes veulent aussi remettre sur la table le dossier des « disparus » pendant la guerre d’indépendance (1954-1962) -plus de 2.200 selon Alger- et celui des essais nucléaires français dans le Sahara algérien qui « ont fait et continuent à faire des victimes » selon elles.

C’est en mars 1962 que les accords d’Evian signés avec la France annoncent un cessez-le-feu immédiat et ouvrent la voie à la proclamation le 5 juillet de l’indépendance de l’Algérie.