Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a annoncé mercredi le lancement d’une opération militaire contre la région du Tigré (nord), qu’il accuse d’avoir mené une attaque meurtrière contre une base de l’armée fédérale et qui été a placée sous état d’urgence.

La tension est montée d’un cran ces derniers jours entre le gouvernement fédéral d’Addis Abeba et le gouvernement régional du Tigré, qui ne reconnaît plus l’autorité de l’Etat fédéral depuis le report des élections nationales qui devaient se tenir en août.

Le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti au pouvoir dans cette région d’Ethiopie, « a attaqué un camp militaire (fédéral) dans le Tigré », a accusé Abiy Ahmed dans un texte posté en pleine nuit sur Facebook et sur Twitter.

« Nos forces de défense ont reçu l’ordre (…) d’assumer leur tâche de sauver la Nation. Le dernier stade de la ligne rouge a été franchi », a-t-il ajouté.

Réuni à Addis Abeba, le Conseil des ministres du gouvernement fédéral a décrété l’état d’urgence pour six mois dans la région du Tigré, estimant que « la situation a atteint un niveau tel qu’elle ne peut plus être empêchée ou contrôlée via les mécanismes habituels de maintien de l’ordre ».

On ignore encore quelles modalités prendra cet état d’urgence.

Dans une adresse télévisée tôt mercredi matin, M. Abiy a précisé que « des forces déloyales » s’étaient retournées contre l’armée à Mekele, la capitale du Tigré, et à Dansha, une ville de l’ouest de la région.

L’assaut à Dansha a été « repoussé » par des forces de sécurité de la région Amhara, qui borde le sud du Tigré, a-t-il ajouté.

L’attaque a fait « de nombreux morts, des blessés et des dégâts matériels », a indiqué le Premier ministre.

Le bureau du Premier ministre a accusé le TPLF d’avoir habillé ses soldats avec des uniformes semblables à ceux portés par l’armée érythréenne, afin « d’impliquer le gouvernement érythréen dans les fausses revendications d’agression contre le peuple du Tigré ».

Dans un communiqué diffusé sur les médias régionaux, le gouvernement du Tigré a déclaré que les gradés et les soldats du Commandement-Nord de l’armée éthiopienne, basé à Mekele, « ont décidé d’être aux côtés du peuple du Tigré et du gouvernement régional ».

Il n’était pas possible de corroborer dans l’immédiat les différentes versions des deux camps.

Netblocks, un site qui surveille les coupures internet, a indiqué que ce réseau semblait avoir été coupé dans la région à partir de 01H00 mercredi.

De même, la nature concrète de la réponse militaire fédérale n’était pas clairement établie dans l’immédiat.

 

– « Jouer avec le feu » –

 

La minorité tigréenne (environ 6% de la population) a dominé la politique nationale pendant près de 30 ans jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 2018 d’Abiy Ahmed, premier dirigeant du pays issu de l’ethnie oromo, la plus importante du pays.

Les autorités régionales tigréennes ont rejeté la prolongation du mandat des députés nationaux et régionaux, censé expirer en octobre, décidée à la suite du report, en raison de la pandémie de Covid-19, des élections générales prévues en août.

Les Tigréens ont défié le pouvoir central en organisant leurs élections régionales en septembre et désormais, chaque camp considère l’autre comme illégitime.

Les sénateurs éthiopiens ont voté début octobre en faveur d’une rupture des contacts et des financements entre les autorités fédérales et les responsables du Tigré.

La semaine dernière, ces tensions se sont cristallisées sur le contrôle des personnels et équipements militaires du Tigré. Vendredi, un général nommé par Addis Abeba avait été empêché d’y prendre son poste par le TPLF.

Le Tigré abrite « plus de la moitié de l’ensemble du personnel des forces armées et des divisions mécanisées » du pays, un héritage de la guerre qui a opposé en 1998-2000 l’Ethiopie à l’Erythrée, frontalière du Tigré, a récemment souligné le centre de réflexion International Crisis Group (ICG).

Mardi soir, Wondimu Asamnew, un haut responsable tigréen a déclaré à l’AFP que le gouvernement fédéral était en train d’amasser des troupes à la frontière sud du Tigré.

« Je pense que quand on en vient à la mobilisation militaire, il ne s’agit pas d’un jeu d’enfants. Et cela peut déclencher une guerre totale », a jugé M. Wondimu.