C’est une première à l’Opéra de Paris: l’institution tricentenaire a lancé une mission inédite sur la question raciale, au moment où des salariés appellent à abolir des pratiques comme le « blackface » et à favoriser la diversité.

Le directeur général Alexander Neef a confié cette mission à Constance Rivière, secrétaire générale de la Défenseure des droits, et à l’historien Pap Ndiaye, qui doivent rendre leurs conclusions d’ici le 15 décembre.

Une initiative qui fait écho à un manifeste intitulé « De la question raciale à l’Opéra national de Paris », appelant à faire sortir cette question « du silence qui l’entoure » et signé par près de 400 salariés (sur 1.800).

Dans ce texte, révélé fin septembre par le site Sceneweb, les signataires disent avoir été encouragés par les « nombreuses prises de conscience à travers le monde », à l’image du mouvement « Black Lives Matter » aux Etats-Unis.

En juin, cinq danseurs noirs et métisses du Ballet de l’Opéra avaient publié sur Instagram des photos, avec le hashtag #blackdancersmatter.

– « Besoin d’en parler » –

La réflexion sur ce sujet sensible a été entamée avant même qu’il ne soit approché par le collectif à l’origine du manifeste, souligne auprès de l’AFP M. Neef, qui a pris ses fonctions il y a un mois.

La rencontre des deux démarches « a consacré le fait qu’il y avait un besoin d’en parler », dit-il. « Si vous imposez ce débat en tant que directeur, les gens vont se dire +pourquoi fait-on ça+ ».

Saluant le « courage » du collectif, M. Neef a assuré qu’il ne s’agissait pas d’un « besoin de suivre un sujet à la mode »: « si vous voulez rester partie prenante de la société, vous ne pouvez pas rester immobile et refuser d’évoluer ».

Le manifeste appelle à l’abolition « de manière officielle et définitive » du « blackface » dans les ballets et les opéras.

Les signataires réclament aussi l’accès des artistes métisses et noirs à « des produits correspondant à leur carnation », notamment les collants et chaussons de pointes, comme ça existe déjà dans les pays anglo-saxons.

A l’Opéra, on précise à l’AFP que « les collants achetés seront prochainement plus nuancés »; quant aux pointes fabriquées dans les ateliers de l’Opéra, elles « sont depuis des années teintes en fonction de la couleur de peau ».

Les doléances portent également sur l’usage, encore persistant à l’oral, du mot « nègre » et de ses déclinaisons dans des appellations historiques, comme « Le carré des négresses » (évoquant un espace du palais Garnier), pourtant officiellement rebaptisé « Carré des cariatides ».

Il y a aussi « la danse des négrillons » – tableau dans le ballet « La Bayadère » (repris en décembre) qui avait été renommé « la danse des enfants » par Benjamin Millepied, ex-directeur du Ballet.

Le manifeste veut aussi que les propos relevant du racisme ordinaire puissent être signalés, précisant par ailleurs que « les artistes issus de la diversité » sont encore « relativement peu nombreux » au sein de la maison, qui compte quelques danseurs asiatiques.

-« Forteresse de la tradition » –

Dans sa lettre de mission, M. Neef a également demandé aux deux experts de réfléchir à la notion de « +ballet blanc+, archétype du ballet classique (…) demandant un corps de ballet homogène ».

A l’époque où il était directeur, Benjamin Millepied disait avoir entendu dire « qu’on ne met pas une personne de couleur dans un corps de ballet parce que c’est une distraction ».

Le « blackface » a été largement abandonné dans les pays anglo-saxons. En 2019, Misty Copeland, première « principal dancer » afro-américaine du American Ballet Theater, s’était indignée du blackface dans une production au Bolchoï, qui avait rejeté « ces déclarations absurdes ».

La question des clichés culturels dans les opéras et ballets du XIXe siècle est de plus en plus soulevée.

« Cette discussion au sein de l’Opéra, considéré comme une forteresse de la tradition, est très positive », affirme à l’AFP Françoise Vergès, présidente de l’association « Décoloniser les arts » qui a recueilli des témoignages de danseurs de l’Opéra.

« Qu’il y ait un code de conduite antiraciste ou qu’on discute du changement d’appellations ne relève pas de la censure, on est dans une nouvelle époque », affirme celle dont l’association milite pour inscrire le « harcèlement racial » dans la loi.