Voter pour son avenir ou préférer sa santé? C’est le choix cornélien auquel seront bientôt confrontés les électeurs de Macédoine du Nord appelés à combler le vide du pouvoir en pleine seconde vague du coronavirus.

Depuis des mois, le petit pays des Balkans affronte la pandémie avec à sa tête un simple gouvernement technique chargé des affaires courantes, en l’absence du Parlement dissous.

Son mandat aurait dû s’achever en avril avec des législatives anticipées mais celles-ci ont été reportées pour cause de crise sanitaire. Après s’être déchirés pendant des semaines à grand renfort d’accusations réciproques d’irresponsabilité, les principaux partis politiques sont convenus d’organiser le scrutin le 15 juillet.

Or, la pandémie est repartie à la hausse après avoir été jugulée par les mesures de confinement.

« Si la situation ne change pas, je n’irais pas voter », dit à l’AFP Bojan Sarlandziev, prothésiste dentaire de 37 ans à Skopje.

Pour lui, la sécurité sanitaire est plus importante que le fait d’avoir les véritables institutions politiques réclamées par l’ancien Premier ministre social-démocrate Zoran Zaev, qui avait appelé à ces élections pour valider ses choix européens.

« Je ne crois pas qu’il soit essentiel d’avoir des élections dans une période où les nouvelles contaminations augmentent à ce point », insiste-t-il.

– Signaux contradictoires –

Ce pays pauvre de moins de deux millions d’habitants, au système de santé fragile, connaît un rebond des contaminations supérieur au pic initial.

En quelques semaines, le nombre de cas a plus que doublé dans l’ex-République yougoslave, à environ 5.200 contaminations et 250 décès.

« La raison principale, c’est la levée abrupte et prématurée des restrictions », a déclaré Dragan Danilovski, directeur de l’Insitut épidémiologie à la presse locale. « Les gens ont eu l’impression que l’épidémie était terminée ».

Egalement en cause, le non respect par la population des gestes de prévention et des mesures coercitives, favorisé par les signaux contradictoires des autorités.

Par exemple, si le gouvernement a imposé un couvre-feu de 80 heures pour la Pâques orthodoxe, les églises sont restées ouvertes avant et après, permettant la célébration de la communion. Ce rite voit les fidèles de la principale religion recevoir le vin à la même cuiller.

Dans un pays où 28% des habitants sont musulmans, les autorités avaient aussi raccourci le couvre-feu pour la fin du ramadan. Durant le mois de jeûne, la police a été accusée de fermer les yeux sur les rassemblements de fidèles.

« Je ne vais pas verbaliser les citoyens alors que des milliers d’entre eux sont dans une mauvaise passe financière et psychologique », avait lancé Nake Culev, seul ministre de l’opposition de droite (VMRO-DPMNE) au gouvernement technique.

– Pari européen –

Zoran Zaev avait démissionné de son poste en janvier quelques mois après le refus initial de l’Union européenne d’ouvrir des négociations d’adhésion, malgré le pari politiquement risqué de l’ancien Premier ministre de changer le nom du pays. Celui-ci s’est vu adjoindre les termes « du Nord » pour régler un long différend avec la Grèce.

Mais Bruxelles a donné en mars son feu vert aux discussions, le pays est entré dans l’Otan et le parti social-démocrate (SDSM) entend bien capitaliser sur ces événements avant une éventuelle explosion des répercussions économiques de la pandémie.

En l’absence de sondages crédibles, les analystes estiment que les chances du SDSM, qui dans ce pays multi-ethnique fait pour la première fois liste commune avec un parti albanais, sont légèrement meilleures que celles du camp rival.

Malgré la crise sanitaire, les « élections sont un mal nécessaire », déclare à l’AFP Marko Trosanovski, analyste à l’Institut pour la démocratie. « Le gouvernement technique est en campagne électorale permanente, ce qui est contraire à l’intérêt public ».

Reste à convaincre les électeurs de se déplacer. « Les élections peuvent être organisées de manière sûre pour tous, et cela sera possible si nous respectons les mesures » sanitaires, martèle le ministre de la Santé Venko Filipce.

Le scrutin se déroulera sur trois jours. Lundi 13 juillet, des assesseurs aidés de personnels soignants iront à domicile recueillir les voix des personnes contaminées ou autoconfinées. Le lendemain, ce sera au tour des militaires, des détenus et des personnes fragiles de voter. Le jour J, les électeurs devront porter des masques, se désinfecter les mains et observer la distanciation sociale dans des bureaux de vote aux fenêtres ouvertes.

Pas sûr que cela suffise à rassurer. « Je ne pense pas à voter. Les contaminations augmentent de jour en jour et la situation est effrayante », confie Simona Ruseva, économiste de 33 ans.