Près de 50 personnes ont été tuées ces dernières 48 heures en Irak, dans des manifestations réclamant « la chute du régime » et des attaques contre des QG de partis, de responsables et de groupes armés.

La contestation –inédite parce que spontanée– a connu deux épisodes. Le premier, entre le 1er et le 6 octobre, s’est soldé officiellement par 157 morts, quasiment tous des manifestants.

Le second, entamé jeudi soir après une interruption de 18 jours, le temps du plus important pèlerinage chiite, a fait jusqu’ici 48 morts, selon la Commission gouvernementale des droits de l’Homme et des sources médicales et policières.

Les violences ont pris vendredi un tour nouveau avec l’incendie dans le sud du pays de dizaines de sièges de partis, de bureaux de députés et surtout des QG des factions armées du puissant Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires dominée par les milices chiites pro-Iran et alliée du gouvernement irakien.

« La colère populaire se dirige contre eux (…) car ils sont la vitrine évidente du +régime+ », explique le chercheur Harith Hasan.

Ces violences sont aussi le fait des partisans du turbulent leader chiite Moqtada Sadr, assure l’expert du Carnegie Middle East Center, qui « ont vu une opportunité pour passer à l’action face à des milices concurrentes comme Assaïb Ahl al-Haq, Badr et les brigades du Hezbollah », les plus puissantes du Hachd.

Samedi, trois personnes ont été tuées par les tirs des gardes de la maison du chef de la sécurité au sein du Conseil provincial de Zi Qar (sud) que des manifestants incendiaient, selon la Commission gouvernementale des droits de l’Homme.

A Bagdad, trois protestataires ont aussi été tués alors des dizaines d’entre eux tentaient de traverser le pont al-Joumhouriya reliant la place Tahrir à la Zone verte, où siègent le Parlement et l’ambassade des Etats-Unis, selon la Commission gouvernementale des droits de l’Homme.

Des sources médicales ont expliqué qu’ils avaient été mortellement touchés par des grenades lacrymogènes et assourdissantes, qui ont déjà tué d’autres manifestants la veille.

Après avoir dormi la nuit à Tahrir, des centaines d’Irakiens continuent d’occuper cette place emblématique, et assurent que leur mobilisation contre le pouvoir est pacifique.

Vendredi, les violences ont causé la mort de 42 personnes. Parmi les morts des dernières 48 heures, plus d’une vingtaine ont péri dans ces incendies et attaques dans le sud. De telles violences n’ont pas eu lieu à Bagdad.

La mission de l’ONU en Irak (Unami) s’est dite « très inquiète des entités armées qui cherchent à compromettre la stabilité de l’Irak ».

Dans plusieurs villes du Sud, des manifestations ont aussi eu lieu avant d’être dispersées en raison de couvre-feux imposés « jusqu’à nouvel ordre ».

– « Ca suffit », « dégagez! » –

Les protestataires rejettent en bloc les mesures sociales annoncées. Ils veulent, disent-ils, une nouvelle Constitution et d’une classe politique entièrement renouvelée dans le 12e pays le plus corrompu au monde.

Le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a plaidé pour réformer le système d’attribution des postes de fonctionnaires et abaisser l’âge des candidats aux élections dans un pays où 60% de la population à moins de 25 ans.

« Ils ont dit aux jeunes: +rentrez chez vous, on va vous verser des pensions et vous trouver des solutions+, mais c’était un piège », s’emporte une manifestante, venue avec son fils.

Vendredi, le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d’Irak, a appelé à la réforme et à la lutte anticorruption, tandis que le turbulent leader chiite Moqtada Sadr a réclamé début octobre la démission du gouvernement et de nouvelles élections.

« Sadr, Sistani, quelle honte! », lance un manifestant en affirmant défiler parce qu’il n’a « pas un sou ». « On nous tire des grenades dessus, ça suffit! »

Pour les manifestants, les gouvernements successifs depuis la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003 ont prouvé l’inaptitude du système alors qu’en 16 ans, la corruption a officiellement coûté 410 milliards d’euros à l’Etat, soit deux fois le PIB de l’Irak, deuxième producteur de l’Opep.

« Ca suffit! Les vols, les pillages, les gangs, les mafias, l’Etat profond, tout ça… Dégagez! On veut un Etat, les gens veulent seulement vivre », affirme un autre manifestant.

Non loin, le Parlement qui devait se réunir pour discuter des revendications des manifestants a de nouveau annulé sa séance faute de quorum.