Revendications salariales et polémique autour d’emplois fictifs: un bras de fer entre les enseignants et leur ministère retarde depuis un mois la rentrée scolaire en Libye, où l’enseignement est déjà perturbé par le chaos politique et les récents combats près de Tripoli.

Les enseignants en grève depuis des semaines réclament notamment du gouvernement d’union nationale (GNA), basé dans la capitale, une revalorisation de leurs salaires –actuellement de 800 dinars libyens (560 euros) en moyenne–, et le départ du ministre de tutelle, Othman Abdel Jalil.

M. Abdel Jalil a récemment ordonné la suspension de centaines d’enseignants et de responsables grévistes, ainsi que le licenciement de dizaines de milliers d’autres, accusés de percevoir un revenu sans exercer leur métier.

La paralysie touche la plupart des établissements publics, y compris dans l’est du pays, sous une autorité rivale appuyée par le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de cette région orientale qui mène également depuis avril une offensive armée sur Tripoli.

Si la Libye est divisée, le GNA reconnu par l’ONU paye les salaires de la fonction publique dans l’ensemble du pays, grâce aux revenus du pétrole gérés par la Banque centrale, elle-même basée à Tripoli.

– Offre de démission –

Dénonçant la corruption, le ministre de l’Enseignement a jeté un pavé dans la mare en octobre en estimant à plus de 150.000 le nombre d’emplois fictifs dans l’enseignement. Ce secteur compte à ce jour plus de 500.000 salariés, dans un pays d’à peine six millions d’habitants, selon des chiffres du ministère du Travail.

Depuis l’ère de Mouammar Kadhafi, la fonction publique est minée par la corruption. Après la chute du régime de l’ex-dictateur en 2011, les autorités de transition successives ont échoué à supprimer des dizaines de milliers d’emplois fictifs, notamment dans la santé et l’enseignement. Le GNA semblait aussi avoir choisi d’éluder ce dossier sensible.

Dans une première réponse aux revendications des grévistes, le gouvernement a décidé la semaine dernière de scinder en deux –primaire et secondaire d’un côté, enseignement supérieur de l’autre– le département de M. Abdel Jalil. Ce dernier, s’estimant désavoué, a aussitôt offert sa démission.

Cette concession du GNA n’a toutefois pas suffi à calmer l’ardeur des grévistes et, un mois après la date de rentrée prévue, les portes de la plupart des écoles et universités du pays restent fermées.

« Une de nos conditions a été satisfaite: la séparation de l’enseignement général du supérieur. Mais il reste l’augmentation des salaires » et le départ effectif du ministre, « qui menace et humilie les enseignants », explique Khaled Techour, professeur dans un lycée de Tajoura, à l’est de Tripoli.

Tandis que « des fortunes sont dépensées pour les guerres et les conflits, nous sommes ignorés », fait-il valoir.

– « On nous ignore » –

Depuis 2011, la Libye est déchirée par les conflits entre factions rivales. Et, depuis le 4 avril, des combats font rage aux portes de Tripoli entre les pro-Haftar et les pro-GNA, provoquant la fermeture de dizaines d’écoles en zones de combat, tandis que d’autres établissements de la capitale servent de refuge pour déplacés.

Mais pour Khayriya al-Kamjaji, une gréviste, la « marginalisation » des enseignants est plus ancienne. « Cela fait des années qu’on nous ignore », dit cette enseignante d’histoire d’un collège de la capitale.

La grève « ne nous fait pas plaisir. (…) Mais nous ne faisons plus confiance aux gouvernements », poursuit Mme al-Kamjaji, 40 ans dans le métier.

Président d’un comité de crise instauré au sein du ministère, Rachad Bicher appelle à ce que « ces revendications n’impactent pas la scolarité », déjà perturbée par la guerre.

« Les revendications des enseignants sont légitimes et il faut que le gouvernement les prennent au sérieux », consent-il néanmoins.

Le chef du GNA, Fayez al-Sarraj, a rencontré récemment une délégation d’enseignants, leur promettant d’étudier leurs demandes « le plus tôt possible ».

En attendant, la majorité des élèves sont priés de patienter, et la grève fait débat.

« Je ne suis pas favorable à la fermeture des établissements (…). Ce n’est ni dans l’intérêt des professeurs, ni dans celui des élèves », commente Saleh Ben Rajab, directeur d’une école primaire à Zawiya (45 km à l’ouest de Tripoli).

« Le temps perdu et les lacunes accumulées par rapport aux établissements restés ouverts (…) compliquera le calendrier des examens », ajoute-t-elle.

Nouri al-Chamekh, père de quatre enfants dont aucun n’a pu faire sa rentrée dans des écoles de Tajoura, se montre aussi critique des grévistes. « Un enseignant est un outil d’édification, pas de destruction. Il doit être un exemple », juge-t-il.