La petite ville côtière de Ouidah est en travaux: alors qu’à travers le monde, on déboulonne les statues d’anciens esclavagistes, le Bénin a décidé de restaurer ses monuments pour conter sa douloureuse histoire de la traite négrière à la colonisation.
Dans le grand Fort portugais qui trône au milieu de cette cité historique, ont été rassemblés plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants (chiffres Yale University) entre les XVIIe et XIXe siècles, avant d’être embarqués à travers l’océan Atlantique.
L’édifice abrite d’habitude le Musée d’Histoire de la ville, mais il est aujourd’hui caché derrière des paravents en tôles bleues. A l’intérieur, des dizaines d’ouvriers s’acharnent du matin à la tombée de la nuit avant son inauguration prévue à la fin de l’année.
« En attendant la fin des travaux, une partie de la collection du musée a été délocalisée à la Maison du Brésil pour y être mise en valeur à travers une exposition temporaire « Et si Ouidah m’était conté », explique à l’AFP, Jean Michel Abimbola, ministre du Tourisme béninois.
L’exposition, qui a ouvert ses portes le 3 août attire de nombreux historiens, de résidents du Bénin et des natifs de Ouidah, en attendant, tout le monde ici l’espère, que le pays retrouve ses touristes après la crise du coronavirus.
Sous des protections en verre disposées dans le grand hall, trônent des cartes et des atlas des navigateurs portugais, des fusils de traite utilisés par l’armée royale,…
Les visiteurs peuvent aussi contempler les autels portatifs utilisés pour les cérémonies des rois de l’ancien Dahomey, ou une cloche amenées par les missionnaires catholiques européens, mais aussi les entraves et les chaines utilisées pour attacher les esclaves.
« Quand je vois ces chaînes qui ont servi à entraver nos ancêtres, j’ai mal », raconte à l’AFP Benoît Daoundo, fonctionnaire des Nations Unies en poste au Cameroun, en vacances dans son pays d’origine. « Mais c’est notre histoire. Nous devons l’accepter et la conter aux générations futures ».
« Nos enfants ne connaissent rien de tout ça. L’esclavage doit être enseigné dans les écoles et plus qu’en quelques leçons », plaide-t-il, avec émotion.
Ulrich Lantonkpodé, juriste à Cotonou et originaire de Ouidah, est également venu voir cette exposition après en avoir entendu parler sur les réseaux sociaux. Il lui « manquait des éléments et des informations sur la culture et l’histoire de (sa) famille », raconte-t-il à l’AFP.
« J’apprecie autant cette exposition que l’idée de reconstruire le Fort portugais pour permettre de conserver cette histoire », se rejouit le juriste, au terme de la visite.
– Mémoire africaine –
Avec son architecture afro-brésilienne et ses plages bordées de cocotiers à perte de vue, la cité de Ouidah fut un comptoir majeur dans le commerce transatlantique des esclaves et elle se trouve aujourd’hui au coeur du projet de développement touristique du Bénin engagé depuis 2016 par le président Patrice Talon.
Le Bénin travaille « pour une montée en puissance de la mise en tourisme de l’exception culturelle béninoise », explique le ministre du Tourisme, qui souligne que le budget qui lui est consacré s’élève à 1 milliard d’euros d’investissement au niveau national.
Le pays a réhabilité le parc national de la Pendjari dans le nord pour attirer les amateurs de safari, et construit actuellement différents musées du vaudou ou de l’ancien royaume du Dahomey, pour lequel il a d’ailleurs demandé à la France la restitution d’objets pillés pendant les guerres coloniales.
Mais l’expansion du jihadisme dans la région a mis un frein au développement du tourisme européen en Afrique de l’Ouest ces dernières années, une situation encore aggravée par la pandémie du Covid-19, poussant le Bénin à jouer désormais la carte du tourisme régional.
« A Ouidah, c’est le marché nigérian que l’on vise en priorité », confie à l’AFP un responsable de l’Agence Nationale de promotion des Patrimoines et du Tourisme (ANPT).
En effet, Lagos la capitale économique du Nigeria, voisin géant de 200 millions d’habitants, se trouve à une centaine de kilomètres seulement de Ouidah et les deux pays partagent une histoire commune de l’esclavage à la colonisation.
En plus de l’offre balnéaire, le ministère du Tourisme et l’ANPT ont décidé de mettre l’accent sur les questions de la mémoire en réhabilitant le Fort portugais, mais aussi en valorisant la route des esclaves, qui mène à la Porte du Non-Retour, où étaient amarrés les vaisseaux prêts à traverser l’Atlantique.
La petite ville doit également accueillir le Musée international de la mémoire et de l’esclavage (MIME) qui est actuellement en construction, ainsi qu’un grand complexe touristique de 130 chambres orienté vers le même thème, avec des « jardins du souvenir », une zone de recueillement, et « la reconstruction historique d’un bateau négrier » au large de l’océan.
« Nous avons besoin d’action fortes, au-delà des mouvements de revendication des causes noires », défend Eric Accrombessi, guide touristique et natif de Ouidah. « La rénovation de ces lieux va mieux illustrer la trame de l’histoire pour la transmettre aux générations futures ».