Dans sa maison de Caracas, frère Guayanés, un guérisseur, procède à une « opération spirituelle » sur une patiente qui souffre du bras : désespérés face aux pénuries de médicaments, les Vénézuéliens se tournent de plus en plus vers des traitements alternatifs.

« On va à l’hôpital et il n’y a rien. On n’a pas de médicaments, ou ils sont très chers, comment faire ? », se désole Rosa Saez, 77 ans, venue dans ce « centre spirituel » de Petare, un quartier pauvre de Caracas, dans l’espoir d’atténuer sa douleur.

Frère Guayanés dit pratiquer 200 interventions par semaine dans sa « salle d’opération », une petite pièce rudimentaire, équipée de deux lits de camp et éclairée à la lueur des bougies.

« Il a guéri mes reins », se félicite Rosa, une habituée, qui comme nombre de ses compatriotes doit faire face au manque de médicaments, dont certains ont vu leurs stocks fondre de 80%, selon la Fédération des pharmaciens.

Sous le regard placide de statuettes de plâtre représentant des « entités spirituelles », frère Guayanés fait zigzaguer des paires de ciseaux sur le ventre de la patiente allongée, provoquant un cliquettement métallique, mais sans infliger de blessures.

L’odeur du tabac imprègne le centre où une « secrétaire » note les noms des patients par ordre d’arrivée.

A l’entrée, deux affiches préviennent : « chaque patient doit apporter une bougie et du tabac » et « n’oubliez pas que les patients doivent payer en argent liquide », une denrée pourtant rare dans le pays.

Avant l’entrée dans la « salle d’opération », Carlos Rosales, de son vrai nom, écoute le patient, émet son diagnostic et rédige des ordonnances pour des traitements à base d’herbes et de fruits. Il ausculte ensuite le malade au stéthoscope en expliquant le fonctionnement du corps humain.

« Nous savons que les médicaments sont nécessaires, je ne suis pas contre la médecine, mais mon truc, c’est la botanique », explique-t-il.

– Réduire la dose –

A rebours d’une économie en chute libre depuis cinq ans, Lilia Reyes, 72 ans, a vu prospérer son commerce de plantes médicinales.

« Je n’arrive pas à suivre avec la marchandise », explique la septuagénaire dans son échoppe d’un marché de Caracas, où se dégage une odeur de camomille, une des 150 plantes qu’elle propose à la vente.

Etranglé par la chute des cours et de la production de pétrole, source de 96% des revenus du pays, le gouvernement de Nicolas Maduro ne prend plus en charge l’achat des médicaments pour les 300.000 malades chroniques du pays, premières victimes des soubresauts de l’approvisionnement et des prix.

Dans son restaurant fermé il y a trois ans, Carmen Teresa, une Colombienne de 58 ans installée au Venezuela depuis 40 ans, prépare une infusion de feuilles de figuier pour contrôler sa « neuropathie diabétique ».

Les analgésiques dont elle a besoin lui coûtent « trop cher » et leur prix augmentent chaque semaine en raison de l’hyperinflation qui devrait atteindre 1.000.000% fin 2019, selon le FMI.

Elle a besoin d’au moins quatre comprimés pour tenir son diabète à distance, sans compter les cinq que doit prendre sa mère malade d’Alzheimer, qui souffre aussi d’hypertension, de diabète, et se trouve alitée depuis plus d’un an en raison d’une fracture du fémur.

« Je continue à prendre mes pilules, mais j’ai réduit la dose », dit Carmen, qui remplace aussi un médicament contre le cholestérol par du jus de citron.

Mais la consommation aveugle de certaines herbes peut s’avérer mortelle, met en garde Grismery Morillo, médecin dans un hôpital public de la capitale, où « de nombreux cas d’insuffisance hépatique aiguë » ont été constatés après la consommation de certaines racines.