« Je préfère qu’il soit rouvert avec des restrictions que pas du tout ». Comme Maxine, à la recherche de vêtements d’été, de nombreux clients en quête d’une bonne affaire repassent le seuil des « charity shops » britanniques depuis l’amorce du déconfinement.
Maxine Boersma, 53 ans, consultante en relations publiques, est la première cliente à rentrer, jeudi matin, dans le magasin de la Croix-Rouge britannique, deux jours après sa réouverture dans le très chic quartier londonien de Chelsea, connu pour regorger de pièces de grandes marques à prix très réduits.
Elle n’a pas hésité à franchir la porte du commerce, où le nombre de clients est limité à cinq simultanément, malgré l’obligation de se désinfecter les mains à l’entrée, de suivre un parcours fléché à l’intérieur ou l’impossibilité d’essayer la marchandise.
La gérante, Ernestina Fonseca, se réjouit: elle a immédiatement « renoué avec les jours normaux » d’avant la crise, sa recette journalière culminant à 1.200 livres (1.327 euros) malgré des heures d’ouverture réduites pour permettre un nettoyage quotidien des lieux en profondeur.
La cabine d’essayage est transformée en lieu de stockage pour les dons qui affluent, issus notamment des nettoyages de printemps opérés pendant le confinement.
Elle les y laisse 72 heures, par sécurité, avant de les passer au nettoyeur-vapeur, même si la recommandation gouvernementale est de 48 heures. Les retours sont soumis au même régime.
Mais l’engouement pour ces magasins qui vendent des articles d’occasion, très populaires dans le pays, cache le mal-être des associations caritatives qu’ils contribuent à financer.
Ce secteur essentiel au Royaume-Uni, représentant des milliards d’euros, a vu ses revenus s’effondrer à cause de la pandémie.
Certains des quelque 9.000 charity shops britanniques ont commencé à lever le rideau mi-juin, à l’instar des autres commerces non essentiels. Mais comme la Croix-Rouge, qui s’est concentrée sur ses boutiques les plus spacieuses ou fréquentées, beaucoup ont étalé leur réouverture sur plusieurs semaines, jouant la prudence.
– Appel à bénévoles –
Le manque de bénévoles a joué aussi: certains restent confinés, comme les personnes âgées ou vulnérables, d’autres hésitent encore à prendre les transports en commun.
« Nous estimons que 30% à 50% des bénévoles ne pourront pas revenir directement », sur plus de 230.000 au total, explique Robin Osterley, directeur général de Charity Retail Association, qui représente les magasins caritatifs.
Chez Oxfam, par exemple, « beaucoup » des 20.000 volontaires qui aident à faire tourner ses 650 magasins sont des personnes âgées.
Pour pallier le manque, le secteur a conclu un partenariat avec le programme de service civil volontaire pour attirer des jeunes de 16 et 17 ans.
« Les charity shops survivront parce que leur modèle économique marche », générant 300 millions de livres nets par an (332 millions d’euros) et profitant d’une vague de shopping éco-responsable, souligne Robin Osterley.
La Belge Sylvie Bourguignon, gérante d’un magasin de Mind, association active dans la santé mentale, dans le nord de Londres, en témoigne: « Dès qu’on a ouvert, il y avait une file dehors (…). On a des habitués qui viennent tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, on a aussi des fans de design et des adolescents qui n’ont pas école ».
« C’est super que les magasins aient pu retomber sur leurs pieds », insiste M. Osterley. Cependant, « la question de savoir si leur association-mère pourra survivre demeure ».
Le gouvernement a débloqué en urgence 750 millions de livres en avril pour permettre aux oeuvres de bienfaisance d’affronter la pandémie, mais il doit « vraiment comprendre tout ce que le secteur caritatif fait pour la communauté (…). Il ne serait pas capable de remplacer leurs services ».
Confrontée à une baisse de ses revenus, due notamment à l’annulation d’événements de collecte de fonds, Cancer Research a menacé de couper son financement à la recherche de 150 millions de livres annuels sans soutien supplémentaire – pour lequel plaide également la commission parlementaire de la Culture.
Le secteur demande aussi une prolongation au-delà d’octobre du mécanisme déployé par le gouvernement pour éviter les licenciements pendant la crise sanitaire. Il voudrait également que les personnes au chômage technique puissent se porter bénévoles en attendant des jours meilleurs.