Le parti au pouvoir l’a déclaré ennemi de l’État. La détermination du journaliste Hopewell Chin’ono, sorti vendredi de prison, reste entière: il va continuer son travail.

« Je ne vais pas arrêter de traquer la corruption » d’État, affirme le lanceur d’alerte de 49 ans, crâne rasé et barbichette, dans un entretien à l’AFP au lendemain de sa libération de la prison de haute sécurité de Chikurubi, dans la banlieue d’Harare, où il effectuait sa deuxième période de détention en moins de quatre mois.

Il est resté 17 jours dans la section D, réservée aux condamnés à perpétuité ou à mort, une situation dénoncée par son avocate à chaque audience avant sa libération sous caution.

 

– Détenu pour un tweet –

 

Cette fois, il était emprisonné pour entrave à la justice, après la publication d’un tweet dénonçant l’intervention du gouvernement auprès de magistrats enquêtant sur une affaire de contrebande d’or.

« Exposer la corruption, c’est la nature du travail, sinon je ne suis plus journaliste », répète-t-il d’une voix calme, assurée.

« Le séjour en prison est épouvantable. Quand ils arrêtent des gens comme des journalistes, ils savent que ça va vraisemblablement les briser. Mais je suis décidé. La corruption est une cause à laquelle je tiens, je ne les laisserai pas faire ».

Derrière lui, dans son bureau, une affiche de Bob Marley et ses paroles contre l’oppression. « Don’t give up the fight » (N’abandonne pas le combat).

Fin juillet, des policiers avaient fracassé la baie vitrée de sa salle à manger pour l’arrêter. Il avait filmé avec son téléphone et diffusé en direct leur irruption. Les autorités l’accusaient alors d’avoir incité « à la violence publique » pour avoir relayé des appels à manifester contre la corruption d’Etat.

Ces manifestations n’ont jamais eu lieu, le président Emmerson Mnangagwa ayant imposé un couvre-feu, déployé policiers et soldats sur des barrages routiers, dans le cadre du confinement.

Un mois avant son arrestation, un haut responsable du parti au pouvoir (Zanu), Patrick Chinamasa, dénonçait « les attaques systématiques » contre « l’intégrité de la famille » du président « par des personnages sans scrupules tels que Hopewell Chin’ono ».

 

– « Briser ton esprit » –

 

A cette époque, le reporter, plusieurs fois primé, enquêtait sur une affaire de corruption présumée autour d’achats par le gouvernement de matériel de protection et de tests Covid, qui a abouti à la démission du ministre de la Santé.

En prison, où il a passé 45 jours depuis juillet, il a vécu ce qu’il décrit comme « la pire expérience possible ».

« Les gens dorment comme des rats. Il n’y a pas d’eau dans les cellules, prévues pour 16 mais où s’entassent 46 détenus. Pas de place pour bouger », raconte-t-il, et les maladies se propagent, bronchites et coronavirus en tête. Sans traitement.

Quand Chin’ono a eu de la fièvre, son médecin a pu lui rendre visite. Mais dans le bâtiment renfermant 2.700 détenus, selon lui, pas le moindre tensiomètre pour calculer sa pression artérielle.

Le journaliste rappelle que sous Robert Mugabe, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 37 ans avant d’être dégagé par un coup d’État fin 2017, il n’a jamais été arrêté. Et pourtant « j’ai réalisé des documentaires critiques » à son égard, dit-il.

Mais le régime Mnangagwa craint l’exposition de la corruption, assure-t-il: « Quand vous touchez au pillage de fonds publics ou  des ressources nationales et que la famille du président est impliquée, vous vous faites arrêter ».

Il relève l’impact des réseaux sociaux pour désarmer les autorités. « J’atteins bien plus de monde que le quotidien contrôlé par le gouvernement », poursuit le journaliste. « Quand ils vendent 5.000 exemplaires, mes messages ou mes vidéos sont vus 100.000 fois ».

Chin’ono (@daddyhope) compte plus de 170.000 followers sur Twitter. « Si vous en avez dix comme moi, vous atteignez 1,7 million de personnes, qui à leur tour retwittent. Ces gens vont lire des histoires de corruption, voir des preuves, voir qui est impliqué ».

Effrayant pour un « régime tyrannique, corrompu ». Donc « ils t’arrêtent pour briser ton esprit ».

Quand il arrive à débrancher de sa prochaine enquête, Chin’ono aime prendre sa voiture et partir à la campagne, dans son élevage de chèvres Boer, typiques d’Afrique australe.