De nombreux prélats d’Amérique du sud sont ouverts à l’idée d’ordonner des hommes mariés en Amazonie, face au manque de prêtres dans cet immense territoire isolé, mais l’option, débattue à un synode d’évêques de la région au Vatican, menace de provoquer une fracture au sein de l’Eglise.

La question explosive des « viri probati » — des prêtres mariés d’âge mûr au comportement catholique irréprochable — est abordée avec insistance depuis l’ouverture lundi des débats de l’assemblée spéciale épiscopale consacrée aux problèmes de l’Amazonie.

Sur les 184 prélats du synode, 113 viennent de la région panamazonique, tout particulièrement du Brésil (30%).

Mgr Erwin Kräutler, un missionnaire autrichien qui est évêque émérite de Xingu au Brésil, estime que les deux tiers des évêques de la région panamazonique sont favorables aux « viri probati ».

« Il n’y a pas d’autre possibilité. Les peuples autochtones le demandent clairement », a plaidé mercredi l’évêque devant la presse.

« La première choses qu’on me demande dans les villages indigènes, c’est +Où est votre femme?+. Je leur explique que je ne suis pas marié et ils ont un peu pitié de moi! », raconte-t-il.

L’eucharistie ou communion, un sacrement essentiel dans la doctrine chrétienne, est l’apanage d’un prêtre célibataire.

Or Mgr Kräutler juge que l’eucharistie est plus importante que le célibat des prêtres, imposé seulement à partir du 11ème siècle. « Une idée partagée majoritairement » dans la salle du synode, juge un témoin des débats à huis clos.

« L’écosystème ecclésial ne parvient plus à susciter et soutenir suffisamment de vocations sacerdotales et religieuses. Il y a une sorte de déforestation de la culture catholique », a décrit un évêque hispanophone, selon ce témoin.

Le cardinal brésilien Claudio Hummes — président du Réseau ecclésial pan-amazonien (REPAM) et rapporteur du synode — juge pour sa part « nécessaire de définir des nouvelles voies pour le futur » face aux demandes des peuples autochtones.

– « Hérésies » –

En Amazonie, l’Eglise catholique s’inquiète de l’augmentation vertigineuse de la présence des églises évangéliques pentecôtistes, qui peuvent compter des pasteurs mariés.

Même si le débat ne porte pas en fait sur la fin du célibat des prêtres, les traditionnalistes catholiques sont toutefois en émoi devant le spectre d’une éventuelle exception régionale. D’autant qu’une partie progressiste de l’Eglise allemande prône actuellement la possibilité de prêtres mariés.

Le cardinal américain Raymond Burke — l’un des opposants déclarés du pape — a annoncé à la mi-septembre « une croisade de quarante jours de prière et de jeûne » contre le document du synode truffé « d’erreurs théologiques et d’hérésies ». Il demande spécifiquement au pape de ne pas abolir le célibat.

Les évêques d’Amazonie s’accorderont d’ici la fin du mois sur un texte de suggestions pour François, qui rédigera ensuite sa propre exhortation.

Dans l’avion qui le ramenait en septembre d’un voyage en Afrique, le pape interrogé sur ses ennemis les plus virulents avait déclaré: « Je prie pour qu’il n’y ait pas de schisme, mais je n’ai pas peur ».

Un message clair envoyé aux prélats frondeurs qui se logent jusque dans la Curie (gouvernement du Vatican) et jugent que le pape argentin parle trop d’inégalités sociales et d’exclus, au détriment notamment de la morale sexuelle.

Dans une messe matinale célébrée mardi dans sa résidence Sainte-Marthe, le pape François a vivement critiqué les chrétiens qui dénoncent sans cesse « l’hérésie » et disent « non, non, ces changements ne sont pas chrétiens ».

Ces croyants « préfèrent l’idéologie à la foi », « préfèrent tout juger, mais à partir de la petitesse de leur coeur », a déploré François.

Le souverain pontife leur oppose une Eglise axée sur les réalités humaines du terrain. En phase avec les évêques d’Amazonie qui demandent par exemple à l’Eglise d’adapter la formation.

« Il faut que la formation théologique ne se réalise pas dans des séminaires qui ressemblent souvent à des hôtels quatre ou cinq étoiles », a taclé un évêque brésilien, lors des débats.

En outre, beaucoup de séminaristes ne disposent pas des bases nécessaires et ne terminent pas une formation trop ardue.