Deux ans après l’insurrection jihadiste, la ville philippine de Marawi reste en ruines. Et la lenteur de la reconstruction risque de faire le lit des groupes islamistes actifs dans la zone.
Le 23 mai 2017, des centaines d’hommes armés ayant prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI) prirent le contrôle de plusieurs secteurs de la plus grande agglomération musulmane de l’archipel à majorité catholique, utilisant des civils comme boucliers humains.
Il fallut cinq mois à l’armée pour reconquérir ces quartiers, pour beaucoup totalement dévastés.
La destruction des immeubles criblés d’éclats d’obus a fini par débuter, mais seulement après de nombreux faux départs. Et selon les estimations du gouvernement, la reconstruction ne sera pas achevée avant, au mieux, la fin 2021.
En attendant, 100.000 personnes incapables de rentrer chez elles, habitent toujours des camps d’accueil temporaires aux conditions de vie déplorables, ou sont hébergées chez des proches. D’où la colère des déplacés, qui offre un terreau fertile aux recruteurs des mouvements islamistes.
« Avant, pour recruter, ils jouaient sur le Proche-Orient et la détresse des musulmans du monde entier », rappelle Mouhammad Sharief, 32 ans, cofondateur d’une association venant en aide aux jeunes de Marawi.
– Chute du « califat » –
« Mais aujourd’hui, ils n’ont qu’à parler de Marawi pour sensibiliser », poursuit M. Sharief, lui-même un déplacé.
La ville est éminemment symbolique pour les groupes islamistes car il s’agit historiquement de la capitale musulmane de cette zone du sud de l’archipel. Une région très pauvre plombée depuis des décennies par l’extrémisme et les insurrections séparatistes.
La ville est d’autant plus importante que l’EI, depuis la chute du « califat » qu’il avait autoproclamé en Irak et en Syrie, cherche à exister au travers de ses diverses ramifications mondiales.
Le groupe revendique régulièrement des attentats dans l’archipel, notamment des escarmouches avec l’armée. Il a aussi revendiqué l’attaque qui a fait plus de 20 morts en janvier dans une cathédrale de l’île de Jolo (sud), qui a été l’un des attentats les plus meurtriers aux Philippines depuis plusieurs années.
L’EI a des liens avec des organisations extrémistes locales, notamment le groupe Abu Sayyaf, spécialisé dans les enlèvements crapuleux, qui est actif depuis des décennies dans le sud de l’archipel.
Dans ce contexte, les déplacés de Marawi et leur colère ne doivent pas être ignorés, préviennent les experts.
« Le gouvernement doit s’inquiéter de la menace que l’EI cherche à attirer de jeunes habitants qui ressentent de la colère face aux destructions et aux échecs de la reconstruction », explique l’analyste Sidney Jones.
– Propos controversés –
Le chantier de la reconstruction de Marawi accuse en effet de graves retards. Un consortium dirigé par un groupe chinois qui avait initialement été sélectionné pour coordonnner les efforts a finalement été écarté du fait de problèmes légaux et financiers.
Les opérations de déblaiement, première étape avant que des réparations ne soient lancées, ont même fait face à des problèmes juridiques. Le gouvernement espère qu’elles seront achevées en novembre.
« Cela sera utilisé comme un nouvel exemple de la façon dont le gouvernement néglige les musulmans et manque de de sérieux quand il s’agit de reconstruire Marawi », a déclaré Francisco Lara, de l’organisation International Alert.
Le gouvernement revendique des avancées dans la reconstruction d’une ville qui, du fait de la résistance déterminée des jihadistes, essuya les tirs d’artillerie et les frappes aériennes.
« Nous suivons les instructions du président pour que Marawi redevienne une ville prospère », affirmait cette semaine aux journalistes le général à la retraite Eduardo del Rosario, qui supervise les travaux.
Elu en 2016, Rodrigo Duterte s’est toujours singularisé pour son franc parler. Et s’il a cherché à se montrer sensible au sort de la minorité musulmane, il a parfois tenu des propos controversés au sujet de Marawi.
Il a ainsi déclaré que la ville était en proie au trafic de stupéfiants, une accusation grave de la part d’un président qui mène depuis trois ans une sanglante « guerre contre la drogue » qui a fait des milliers de morts.
« Je ne crois pas que je devrais dépenser quoi que ce soit pour leurs bâtiments », déclarait-il en avril dans un discours au sujet de Marawi. « Les habitants là-bas ont beaucoup d’argent. »