Le chanteur pop Banky W. n’a aucune expérience politique ni aucun soutien de poids, mais être candidat aux élections législatives ne lui fait pas peur: il veut « inspirer » sa génération à s’engager pour « changer » son pays, le Nigeria.

Vu de loin, l’improbable convoi qui sillonne les ruelles en terre d’Aja, un quartier populaire de Lagos, ressemble plus à un attroupement de Hells Angels qu’à un traditionnel meeting de campagne, où l’on acclame les candidats à coups de vuvuzelas en agitant de petits drapeaux.

« Ensemble, nous sommes plus forts que n’importe quel politicien riche ou corrompu. Ensemble, nous pouvons gagner! », hurle Olubankole Wellington, alias Banky W. dans un mégaphone, debout à l’arrière d’un deux-roues.

Dans son sillage, des dizaines de motos-taxis – les fameux okada – transportent son équipe de campagne et klaxonnent bruyamment, sous les cris et les applaudissements hystériques des jeunes du quartier, qui n’en croient pas leurs yeux.

« Les autres candidats, on les voit seulement à la télé ou sur les panneaux publicitaires, mais Banky est un mec simple, on l’adore! », s’exclame Charles Opera, un chômeur de 28 ans, avant de terminer d’un trait sa bouteille de bière.

Banky W. a fondé son premier label musical durant ses études à New-York, où il est né d’un père ingénieur et d’une mère pasteure dans une Eglise éveillée qui a longtemps travaillé pour l’Unicef.

Une fois rentré au Nigeria, son pays d’origine, en 2007, il enchaine les succès avec ses albums de rap, pop et r&b mais aussi en tant qu’acteur de films de Nollywood, et en révélant d’autres talents, comme la pop-star nigériane désormais planétaire Wizkid.

Aujourd’hui, le chanteur de 37 ans aux 3,7 millions d’abonnés Instagram (2,3 sur Twitter) et aux 10 millions de vues sur Youtube, mise sur sa popularité et une certaine dose de glamour pour remporter un siège à la Chambre des représentants pour la capitale économique nigériane Lagos.

« La plupart des gens ne votent même pas aux législatives. Les partis ont juste à activer leur base en distribuant quelques milliers de nairas aux électeurs pour gagner », affirme à l’AFP le charismatique métisse au crâne rasé et à la barbe toujours impeccablement taillée.

 – « Aucune chance » –

Contrairement à cette pratique bien ancrée en période de campagne électorale, Banky n’est pas venu avec de l’argent, mais accompagné d’infirmières qui proposent un check-up médical gratuit aux passants.

« La majorité est incapable de dire qui sont leurs élus, alors comment voulez-vous que les politiciens rendent des comptes à leurs électeurs? », s’emporte-t-il.

Nouveau venu en politique, Banky W. veut désormais jouer sa partition pour le compte du jeune Modern Democratic Party (MDP), créé l’an dernier et encore largement inconnu à l’échelle nationale.

Education, santé, emploi et bonne gouvernance sont au coeur d’un programme tourné vers la jeunesse.

Mais il le sait, remporter le siège d’Eti-Osa, une circonscription de près de deux millions d’électeurs, stratégique dans la ville-poumon économique du Nigeria ne sera pas chose facile… Surtout quand, face à lui, le candidat du parti au pouvoir (APC) est le fils d’un ancien ministre encore très influent.

« Banky n’a aucune chance, son parti n’a ni les moyens financiers ni la structure », assène un fin connaisseur de la politique nigériane sous couvert d’anonymat. « Mais il place ses pions. A bientôt 40 ans, il pense à se recycler car il y a beaucoup d’argent à se faire en politique ».

Malgré une scène musicale très dynamique, rares sont les artistes contemporains nigérians qui se frottent à la politique. Leurs textes parlent plus souvent des millions de dollars à se faire dans l’industrie, de filles dénudées ou de champagne coulant à flot que de la précarité qui touche la majorité des Nigérians. A titre d’exemple, les récentes chansons de Banky W. parlent surtout d’amour, avec « Made for you », « Love U baby » ou encore « All I want is you ».

D’autant que dénoncer les maux du Nigeria est parfois risqué: il y a deux ans, le chanteur d’Afro-pop 2Face, à l’origine d’un appel à manifester contre la vie chère, en pleine période de récession économique, avait fait marche arrière à la dernière minute sous la pression du gouvernement.

« Tout ce que nous les jeunes savons faire, c’est se plaindre sur Twitter ou Facebook », rétorque Banky à ses détracteurs. « Il est temps d’infiltrer le système si nous voulons le changer ».