En Guinée équatoriale, nombreux sont ceux qui ne cachent plus leur colère face à la ligne dure contre le coronavirus adoptée par ce petit pays d’Afrique centrale, qui maintient d’une main de fer le confinement quand bien d’autres le lèvent.
Pinto est quasi désert depuis deux mois. Les revendeurs et réparateurs de téléphones mobiles, en majorité ouest-africains ou camerounais, ont fait leur fief de ce quartier aux façades bigarrées et d’ordinaire si bouillonnant de la capitale Malabo. Mais aujourd’hui, ils jouent au chat et à la souris avec des policiers qui les traquent sans merci.
Les rares clients de Pinto, également réputé pour ses petits trafics divers, rusent pour éviter les patrouilles. Les portes des échoppes sont fermées mais quelques vendeurs les entrouvrent en catimini quand d’autres guettent les uniformes. Se faire prendre peut entraîner la bastonnade ou le racket, voire les deux.
Ce pays pétrolier, dirigé sans partage depuis plus de quarante ans par Teodoro Obiang Nguema, 78 ans, maintient depuis mi-avril le plus strict confinement des populations dans ses deux plus grandes villes, Malabo et Bata, et l’a prolongé récemment jusqu’au 15 juin.
Des vidéos montrant policiers et militaires l’imposer violemment circulent abondamment sur les réseaux sociaux, une brutalité dénoncée notamment par le parti d’opposition Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), qui exige qu’ils soient « traduits devant la justice ».
Dans l’une des vidéos, à Bata, une femme est jetée brutalement dans un véhicule par cinq policiers, dont l’un la gifle violemment; une autre montre des militaires à Malabo infliger à un homme de violents coups de matraque à l’arrière des genoux.
Plusieurs habitants ont témoigné de ces brutalités auprès de l’AFP, sous couvert de l’anonymat.
« Des policiers m’ont donné trois gifles parce que j’étais dehors à minuit sans le masque », obligatoire, assure Susana, une femme de chambre de 30 ans.
« J’ai reçu six coups de matraque sur les fesses parce que je n’avais pas l’autorisation de sortir, mais je partais seulement chercher à manger à l’épicerie » confie Fulgencio, 50 ans.
– Bilans épisodiques –
Certains commencent à trouver, comme Jony, chauffeur de taxi de Malabo, que le confinement « ne se justifie plus ». « Je ne gagne que 20.000 francs CFA (environ 30 euros) par jour contre 50.000 avant », se plaint-il.
Comme lui, de nombreux Equato-Guinéens survivent au jour le jour, sans économies, et souffrent d’un confinement imposé sans accompagnement gouvernemental.
La Guinée équatoriale, grâce à ses hydrocarbures, affiche l’un des plus hauts revenus par habitant d’Afrique mais plus de la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté.
Restaurants et bars sont fermés et seuls les commerces alimentaires sont autorisés à ouvrir, de 07H00 à 15H00, ainsi que les pharmacies.
Tout déplacement, pour se nourrir ou se soigner, est en théorie soumis à l’autorisation préalable du chef de quartier, obligatoirement membre du parti au pouvoir. Dans les faits, impossible d’en fournir autant que nécessaire, toute personne qui sort s’expose donc à l’arbitraire des forces de l’ordre qui peuvent, ou pas, exiger ce document.
« Le gouvernement ne peut prendre aucune mesure d’assouplissement pour le moment, tant que le niveau de la courbe de contagion n’est pas connu avec certitude », avait déjà lancé le président Obiang pour justifier un prolongement du confinement, le 15 mai.
Le gouvernement n’a déclaré qu’un peu plus de 2.000 cas de nouveau coronavirus pour environ 1,3 millions d’habitants, mais ce bilan n’est plus actualisé quotidiennement, comme au début de la crise. Et le nombre de 12 décès, lui, n’a pas évolué depuis le 25 mai.
« Si le bilan n’est plus donné quotidiennement comme le faisait le ministre de la Santé, c’est qu’il y a eu un ordre venant d’au-dessus », explique à l’AFP un membre du comité technique de lutte contre le coronavirus, sous couvert de l’anonymat.
« En cachant les chiffres de contagion le gouvernement risque de produire un effet boomerang, ce n’est pas un problème politique, c’est une question de santé et de vies humaines », prévient le sociologue Pablo Odeng.
Les médias nationaux, verrouillés par le pouvoir, évoquent peu la question de la légitimité du confinement.
Les violences policières ont cependant été critiquées dans une émission d’opinion sur Television Asonga, seule chaîne privée du pays mais qui appartient à Teodorin Obiang, vice-président et fils du chef de l’Etat.
Dès le lendemain, le 1er mai, l’émission, Buenos dias Guinea, et ses sept journalistes ont été suspendus sans explication. « En Guinée équatoriale, même le coronavirus n’échappe pas à l’hyper-contrôle de l’information et à la censure », avait commenté l’ONG Reporters sans frontières (RSF).