L’Eglise catholique a repris jeudi son rôle de contre-pouvoir en République démocratique du Congo en affirmant connaître le nom du vainqueur de l’élection présidentielle, pour mieux demander à la commission électorale (Céni) de proclamer les résultats « dans le respect de la vérité et la justice ».
La puissante conférence épiscopale (Cenco) « constate que les données à sa disposition issues des procès-verbaux des bureaux de vote consacrent le choix d’un candidat comme président de la République », a-t-elle indiqué en présentant le rapport préliminaire de ses observateurs électoraux.
« Il est important de souligner que les irrégularités observées n’ont pas pu entamer considérablement le choix que le peuple congolais a clairement exprimé dans les urnes », a ajouté le secrétaire général et porte-parole de la Cenco, l’abbé Donatien Nshole.
« A cet effet, la Céni est appelée en tant qu’institution d’appui à la démocratie à publier en toute responsabilité les résultats des élections dans le respect de la vérité et de la justice », a-t-il conclu.
Mercredi, c’est le président de la mission d’observation de l’Union africaine, l’ex-président malien Diacounda Traoré, qui avait demandé à deux reprises que les futurs résultats proclamés « soient conformes à la volonté des électeurs ».
Les Etats-Unis ont aussi appelé jeudi les autorités électorales de RDC à « respecter » le choix des Congolais en publiant des résultats « exacts », avec des menaces de sanctions.
« Ceux qui sapent le processus électoral, menacent la paix, la sécurité ou la stabilité de la RDC, ou bénéficient de la corruption risquent de ne plus être les bienvenus aux Etats-Unis ou d’être interdits d’accès au système financier américain », a prévenu le département d’Etat américain.
– « Arrêtez de nous intimider » –
« Arrêtez de nous intimider, arrêtez d’essayer d’influencer la décision de la Céni », a répondu son président, Corneille Nangaa. « Certains observateurs dans un excès de zèle vont au-delà de leurs prérogatives », a-t-il ajouté.
Le Conseil de sécurité des Nations unies va se pencher sur ces élections vendredi à huis clos, a-t-on appris jeudi soir auprèès de diplomates. La réunion, prévue à 15H00 (20H00 GMT), a été convoquée à la demande de la France.
Trois candidats sont en course pour la succession du président Joseph Kabila: son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary et les deux opposants, Martin Fayulu et Félix Tshisekedi.
Le pouvoir se déclare « serein » et l’opposition prévient qu’elle ne se laissera pas ravir la victoire.
Dans ce contexte explosif, le président de la Céni a préparé les esprits à un report de la proclamation des résultats provisoires originellement prévue « au plus tard » dimanche.
« Nous ne dormons pas. Nous faisons de notre mieux pour qu’on publie les résultats le 6 janvier. Mais si on n’y arrive pas, à l’impossible nul n’est tenu », a-t-il d’abord déclaré à l’AFP.
Seule la Céni « est habilitée à annoncer et publier les résultats des votes », a rappelé le ministre des Médias, Lambert Mende, dans une « communication à l’intention de la presse internationale ».
La correspondante de Radio France Internationale a quitté Kinshasa jeudi soir après le retrait de son accréditation en RDC où le signal de la radio publique française est coupé, a indiqué RFI.
Egalement porte-parole du candidat du pouvoir Emmanuel Ramazani Shadary, M. Mende accuse RFI d' »annoncer, ou de faire annoncer par d’autres sources que la Céni, des résultats ».
– RFI regrette –
La radio publique rappelle qu’elle « n’a donné aucun résultat » des scrutins de dimanche dernier.
Sans citer les mesures à l’encontre de RFI, Paris a appelé au respect de la liberté de la presse en République démocratique du Congo, où l’accès à l’internet est coupé depuis lundi, comme l’envoi de SMS.
Ces coupures interviennent alors que les procès-verbaux sont censés être centralisés dans les bureaux de vote vers les « centres locaux de compilation des résultats ». Des retards sont observés dans cette procédure, par exemple à Lubumbashi (sud).
Lors des élections contestées de 2011, des ONG avaient dénoncé des fraudes dès le stade des « centres locaux de compilation des résultats ».
« Les résultats proclamés par la Céni ne sont conformes ni à la vérité ni à la justice », avait déclaré en 2011 l’ex-archevêque de Kinshasa, le cardinal Laurent Monsengwo, à l’annonce de la réélection contestée du président Kabila.
C’est la première fois qu’un dirigeant congolais se retire sous la contrainte de la Constitution dans ce pays où l’un des enjeux de l’exercice du pouvoir est le contrôle et la répartition des richesses minérales (cobalt, coltan, cuivre, diamant, or…).
Les élections présidentielle, législatives et provinciales de dimanche dernier ont été trois fois reportées depuis la fin du deuxième et dernier mandat de M. Kabila en décembre 2016.
« Les élections retardées n’étaient ni libres ni équitables (…) Rien de tout cela n’est une surprise (…) Les États-Unis doivent redoubler d’efforts pour soutenir le peuple congolais, qui souhaite une transition pacifique et un gouvernement qui réponde à ses priorités », a déclaré le président de la commission des Affaires étrangères du Congrès américain, Ed Royce.