Les deux témoins, en robes blanches immaculées, arborent des cartouchières noires et tiennent leurs fusils d’assaut contre l’épaule. Ils viennent entourer un jeune marié sur un plateau de télévision à Sanaa, au Yémen.
La cérémonie de mariage est proposée en direct par une télévision de la capitale yéménite qui veut à travers ce programme de télé-réalité, éviter les rassemblements de nature à propager la maladie Covid-19.
Avant d’entrer dans le studio, les membres de l’assistance ont été aspergés de désinfectant et se sont frictionnés les mains avec du gel hydro-alcoolique.
Parents et amis appellent pour féliciter le marié, tandis que deux jeunes garçons se lancent dans une danse endiablée au son de tambourins.
L’émission « Nos mariages, une identité » est diffusée sur une chaîne satellitaire depuis le début en mai de la pandémie du nouveau coronavirus dans ce pays en guerre depuis plus de cinq ans.
Au Yémen, les mariages sont un événement social qui dure deux à trois jours, au cours duquel des centaines de convives venant de différentes régions se rassemblent, dansent, chantent et mâchent du qat, une plante euphorisante largement consommée dans ce pays pauvre de la péninsule arabique.
« Au lieu de venir féliciter les mariés dans une salle bondée, les invités peuvent leur transmettre leurs voeux par téléphone », explique à l’AFP Abdelwahab Yahia le présentateur de l’émission qui dure deux heures.
Selon lui, le but est de « préserver la santé des mariés sans les priver de la joie de la cérémonie alors que le virus continue de se propager. »
– « Préserver la santé publique » –
L’émission de la chaîne Al-Hawia (Identité) qui se dit privée et indépendante, ne montre à aucun moment la mariée, la tradition voulant que la cérémonie respecte, comme dans la vie, une stricte ségrégation entre les sexes.
Ossama al-Qaoud a préparé son mariage pendant des mois mais a dû se résoudre à faire appel à cette émission par crainte de la pandémie.
« Un grand rassemblement pour le mariage signifierait que de nombreuses personnes vont en contaminer d’autres dans les villages puis tout le pays. Je suis fier de pouvoir préserver ainsi la santé publique », confie à l’AFP le jeune homme portant une robe blanche, une large ceinture portant l’incontournable poignard recourbé, accessoire masculin de toutes les cérémonies.
Même sentiment pour Mohammed al-Rahoumi, qui a célébré son mariage au cours de l’un des épisodes de l’émission. « Je voulais organiser un mariage traditionnel en présence de la famille, des amis et d’autres invités, manger ensemble et mâcher le qat », mais il a ensuite changé d’avis, raconte-t-il.
La menace du nouveau coronavirus vient s’ajouter aux malheurs du Yémen. Risque de famines, épidémies du choléra ou de la dengue, déplacés dans des camps de fortune: plus de cinq ans de guerre ont plongé le pays dans la pire crise humanitaire au monde selon l’ONU.
Le conflit s’enlise, entre les forces du gouvernement, appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite voisine, et les rebelles Houthis, soutenus eux par l’Iran, qui se sont emparés de pans entiers du nord du pays dont la capitale Sanaa en 2014.
Des dizaines de milliers de personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées selon les organisations humanitaires, tandis que plus de trois millions de civils vivent dans des camps surpeuplés.
Le Yémen a officiellement enregistré près de 1.000 cas d’infection au nouveau coronavirus, dont 257 décès. Mais les chiffres pourraient être plus élevés, le pays manquant de moyens pour mener des tests à grande échelle et pour déterminer les causes des décès.