Il est arrivé deuxième à l’élection présidentielle au Cameroun en 2018 et encourt théoriquement la peine de mort: l’opposant Maurice Kamto, écroué depuis janvier, est jugé à partir de vendredi avec 90 partisans, notamment pour « insurrection », par un tribunal militaire à Yaoundé.
Ce procès, qui suscite critiques et inquiétude dans la communauté internationale, s’ouvre dans un pays longtemps considéré comme un îlot de stabilité en Afrique centrale, où le président Paul Biya, qui règne en maître absolu depuis 36 ans, est de plus en plus contesté et confronté à d’autres crises: rébellion séparatiste des anglophones à l’ouest et recrudescence des attaques de Boko Haram au nord.
Dès l’aube, un impressionnant dispositif de sécurité a été déployé aux abords du tribunal militaire, où l’opposition a appelé mercredi les Camerounais à venir massivement.
Environ 200 policiers en tenue antiémeute occupent un carrefour en contrebas du tribunal, rapporte un journaliste de l’AFP. D’autres, en armes, patrouillent à bord de véhicules pick-up. Plus haut, une cinquantaine de membres des forces de sécurité filtrent les entrées du bâtiment. Un peu plus tard dans la matinée, une partie des policiers stationnés dans les rues adjacentes se sont redéployés, plus discrètement, à une cinquantaine de mètres du tribunal. L’horaire de l’audience n’a pas été publiquement communiqué.
Depuis la proclamation de la victoire de M. Biya l’an dernier pour un septième mandat consécutif, des manifestations pacifiques sont organisées dans plusieurs villes du pays par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti de M. Kamto, qui estime avoir remporté l’élection.
C’est à l’issue d’une de ces marches que le leader de l’opposition et des centaines de sympathisants avaient été interpellés par les forces de l’ordre fin janvier.
Après plus de sept mois d’emprisonnement, ces 91 personnes doivent être jugées à partir de vendredi pour « hostilité contre la patrie », « rébellion » et « insurrection ». Ils encourent la peine de mort, même si elle n’est plus appliquée au Cameroun.
– « Alibi politique » –
« Rien ne justifie que M. Kamto et ses partisans soient incarcérés depuis huit mois dans ces conditions », a déclaré jeudi leur avocat français, Me Antoine Vey.
« Aucun n’a participé à des actes de violence, aucun n’a appelé à des actes de violence ou à la rébellion. Il n’y a pas de raison à leur arrestation en dehors de l’alibi politique », a ajouté celui qui a saisi, fin avril, le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies.
M. Kamto, 65 ans, et ses alliés avaient déclaré lundi « être prêts à faire face à la justice pour que la vérité éclate dans cette affaire ». Ils ont conditionné leur présence vendredi à un libre accès du public et de la presse à la salle d’audience.
Plusieurs représentants de la société civile et des partis d’opposition ont exhorté mercredi les Camerounais à « assister en masse à ce procès, afin d’assurer la transparence du système judiciaire ».
Avocat au barreau de Paris et ancien ministre délégué à la Justice au Cameroun, M. Kamto bénéficie également du soutien dans ce procès des ONG internationales et de certaines puissances occidentales.
– « Pression » sur Biya –
En mars, les Etats-Unis avaient déclaré qu’il serait « sage de le libérer », suivi de près par l »Union européenne, qui avait parlé de « procédure disproportionnée ».
Les associations de défense des droits de l’homme avaient, elles, dénoncé la compétence du tribunal militaire à juger ces civils. « Les autorités doivent les libérer immédiatement et abandonner toutes les charges retenues contre eux », avait exhorté fin juillet Amnesty international.
Longtemps silencieuse, la France, ancienne puissance coloniale, était sortie de son mutisme fin mai, réclamant aussi leur libération. « On connaît les qualités de M. Kamto, nous faisons pression fortement sur le président Biya pour qu’il puisse agir et élargir ces prisonniers », a répété mardi le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Les avocats de l’opposant ont transmis au tribunal militaire une liste de 31 témoins, dont deux ministres, le patron de la police et d’autres hauts gradés de l’armée et de la police.
Parmi les accusés qui comparaîtront aux côtés de M. Kamto, figurent notamment Christian Penda Ekoka, ex-conseiller économique du président Biya, et un célèbre rappeur, Valsero, connu pour ses textes critiques à l’égard du régime de Yaoundé.