Les danseurs s’écroulent au sol les uns après les autres, comme s’ils étaient écrasés par un rouleau compresseur. C’est la reprise des répétitions au Ballet de Paraisopolis, favela de Sao Paulo, après quatre mois de cours virtuels à cause du coronavirus.

Le spectacle, intitulé « Neuf morts », est un hommage aux victimes piétinées lors d’une intervention policière musclée fin 2019 pour interrompre une soirée funk dans ce quartier pauvre où vivent 100.000 habitants.

Le confinement a obligé les six professeurs à élaborer des cours par visioconférence pour que les 200 élèves puissent s’entraîner chez eux.

« Ce n’était pas facile. Les maisons n’ont pas de plancher adapté pour la danse, mais nous avons fait tout notre possible pour qu’ils puissent s’entretenir, physiquement et mentalement, tout en restant chez eux », raconte à l’AFP Monica Tarrago, qui a fondé en 2012 ce programme offrant des cours gratuits, grâce à des sponsors privés et des subventions publiques.

Les élèves ont aussi suivi des cours de nutrition, d’étirements ou de chorégraphie, avec la participation de dix intervenants étrangers, dont Isabelle Guérin, danseuse étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris.

Paraisopolis est un des symboles des inégalités qui frappent la plus grande mégalopole du Brésil, avec ses ruelles étroites et ses mansardes jouxtant les immeubles de luxe du quartier du Morumbi, dans le sud de Sao Paulo.

L’Etat de Sao Paulo a été le plus touché du Brésil par l’épidémie de coronavirus, avec plus de 30.000 morts. Les favelas ont été frappées de plein fouet, mais Paraisopolis a été considéré comme un modèle de solidarité communautaire, les habitants s’organisant pour mener des actions de prévention.

 

– « Corps et âme » –

 

Kemilly Luanda, 17 ans, a eu beaucoup de mal à suivre les cours virtuels dans la modeste maison où elle vit avec ses parents, ses quatre frères et soeurs et un chien.

« Il fallait dire à tout le monde de quitter la chambre, poser le téléphone sur un lit superposé et faire les exercices entre les matelas », explique-t-elle.

Sans compter les problèmes de signal d’internet et le défi de suivre les cours sur le petit écran du téléphone.

Mais ce qui lui a surtout manqué, c’est le contact avec ses camarades qu’elle côtoie depuis huit ans et qu’elle considère comme ses « soeurs ».

« J’avais hâte de revenir, c’est comme si c’était la première fois », dit-elle au moment de retrouver la salle de répétitions où elle passe quatre heures par jour, du lundi au vendredi.

Ses yeux brillent et on peut deviner un sourire à travers le masque qu’elle porte pour éviter toute contamination.

Seuls 22 élèves ont repris les cours en présentiel. Les autres continuent à les suivre par visioconférence.

« D’habitude, on s’arrête seulement pour les fêtes de fin d’année. Cette interruption a été la pire sensation de ma vie. Maintenant, on a l’impression de retrouver notre famille », reconnaît Monica Tarrago.

Le montage du spectacle sur les neuf jeunes morts lors de l’intervention policière a pris beaucoup de retard à cause de la pandémie.

« Quand je répète, j’essaie d’entrer dans la peau de ces jeunes, de ressentir leur angoisse quand ils se sont retrouvés pris au piège entre les ruelles. Il faut se livrer corps et âme », dit Kemilly Luanda, qui vit justement dans la rue où a eu lieu la tragédie.

Monica Tarrago sait que beaucoup de ses élèves ne deviendront pas danseurs professionnels, mais assure que l’objectif est surtout de leur ouvrir de nouveaux horizons.

« Je ne savais même pas que danser pouvait être une profession. Maintenant, je ne peux pas vivre sans danser et je me sens déjà comme une danseuse professionnelle », conclut Kemilly.