Les habitants des favelas de Rio de Janeiro sont aux prises avec de multiples fléaux: le coronavirus, la précarité économique, mais aussi les fusillades, que la pandémie n’a pas fait cesser.

Des opérations policières musclées contre les narcotrafiquants continuent de faire de nombreuses victimes, y compris durant les distributions d’aliments et de produits d’hygiène censées permettre aux habitants de rester chez eux et de respecter les règles de distanciation physique dans ces quartiers pauvres densément peuplés.

En avril, les forces de l’ordre de l’Etat de Rio ont tué 177 personnes, 43% de plus que lors du même mois de l’année dernière, selon les derniers chiffres officiels.

Et les incursions policières meurtrières ont continué de plus belle en mai.

« Si tu ne meurs pas de faim ou à cause du virus, tu seras tué d’un coup de fusil d’assaut, au nom d’une sécurité publique qui nous exclut », a lancé sur les réseaux sociaux l’activiste Raull Santiago.

Ce message date du 15 mai, quand 13 personnes ont été abattues lors d’une même opération policière au Complexo do Alemao, ensemble de favelas du nord de Rio.

La police a justifié ces morts en affirmant avoir réagi à une attaque de narcotrafiquants lourdement armés.

– Tué à 14 ans  –

Seulement trois jours plus tard, c’était au tour de Joao Pedro Mattos Pinto, un adolescent noir de 14 ans, tué dans la maison de son grand-père, durant une opération de la Police fédérale avec des agents d’élite de la Police civile à Sao Gonçalo, banlieue pauvre de Rio.

Selon ses proches, les policiers ont fait irruption dans la maison où l’adolescent jouait avec ses cousins en tirant par rafales et en lançant des grenades, alors qu’ils étaient à la poursuite de suspects.

Plus de 70 impacts de balles ont été retrouvés sur les murs, les fenêtres ou les appareils électro-ménagers.

La police dit avoir transporté Joao Pedro en hélicoptère pour tenter de le secourir, mais sans prévenir sa famille, qui n’a retrouvé le corps que 17 heures plus tard, à la morgue.

« Les autorités doivent être cohérentes, parce qu’on demande à la population de respecter le confinement, mais en même temps les opérations policières continuent, causant plus de tension », déclare à l’AFP Joao Luis Silva, membre de l’ONG Rio de Paz.

Deux autres jeunes Noirs ont été tués par balle lors d’incursions de la police dans des favelas, au moment où des ONG distribuaient des produits de première nécessité à des familles se trouvant privées de revenus à cause du confinement.

À chaque fois, la police donne la même version: les agents ont réagi pour se défendre d’une agression de criminels.

Au moins cinq distributions de vivres ou campagnes de prévention contre le coronavirus ont été interrompues par des incursions des forces de l’ordre entre le 28 avril et le 21 mai, selon l’association Fogo Cruzado, qui recense les fusillades à Rio.

Le gouverneur Wilson Witzel, connu notamment pour avoir préconisé l’utilisation de tireurs d’élite pour abattre à distance tout individu portant un fusil d’assaut, a dit « regretter profondément » la mort du jeune Joao Pedro et a annoncé l’ouverture d’une enquête.

Il s’est également engagé à « promouvoir le dialogue » entre la police et les responsables d’ONG et d’associations de quartier « pour éviter les opérations pendant les actions humanitaires ».

– Stratégie de guerre  –

Pour Silvia Ramos, chercheuse qui coordonne l’Observatoire de la Sécurité Publique, c’est toute la stratégie de combat contre le trafic de drogue qui devrait être repensée.

« La police de Rio insiste pour mener cette stratégie qui ne donne pas de résultat probant et surtout est très meurtrière », déplore-t-elle.

En faisant prévaloir l’usage de la force sur les enquêtes approfondies pour des opérations plus ciblées, la police « ne parvient pas à affaiblir les factions armées enracinées dans les favelas depuis des années ».

« Au contraire, après ces opérations, une fois que la police s’en va, elles obtiennent de nouvelles armes (illégalement) et continuent de semer la terreur parmi les habitants », conclut-elle.