Les secouristes ont retrouvé vendredi les corps déchiquetés de pompiers tués dans l’explosion meurtrière du port de Beyrouth il y a 10 jours, tandis que les autorités libanaises, opposées à une investigation internationale, ont chargé un juge local de l’enquête.
Dans la capitale libanaise sinistrée, les émissaires étrangers se succèdent, signe que le Liban est revenu au centre des luttes d’influence. Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif doit ainsi rencontrer vendredi les responsables libanais.
Il risque de croiser la ministre française des Armées, Florence Parly, et le numéro trois de la diplomatie américaine David Hale, qui doit également s’entretenir avec les dirigeants libanais et des représentants de la société civile.
Ces derniers réclament, de même que la communauté internationale, un gouvernement neutre pour coordonner l’aide qui afflue au Liban, après la démission du cabinet de Hassan Diab. La population accuse les dirigeants d’être responsables, par négligence ou corruption, de l’explosion du 4 août qui a fait plus de 171 morts et 6.500 blessés.
Dans le port dévasté, les secouristes continuent de retrouver des victimes de la déflagration, provoquée par une énorme quantité de nitrate d’ammonium stockée dans un entrepôt. Toute la République était au courant, parfois depuis des années, de la présence au milieu de la ville de ces tonnes de nitrate d’ammonium, et ce depuis six ans, de l’aveu même de certains responsables et selon des sources sécuritaires.
Ainsi, les proches de trois pompiers d’une même famille, portés disparus alors qu’ils combattaient un incendie avant l’explosion, ont été informés que les restes de deux d’entre eux avaient été identifiés grâce aux analyses d’ADN.
« Je n’ai pas de mots pour décrire le feu qui nous consume. Imaginez que nous en sommes arrivés à nous féliciter d’avoir retrouvé les restes de deux d’entre vous », a écrit sur Facebook Antonella Hitti, après avoir appris que son frère Najib, 27 ans, et son cousin Charbel, 22 ans, avaient été identifiés.
– « Pas d’obsèques » –
« Nous n’organiserons pas d’obsèques avant de retrouver Charbel Karam », le troisième pompier de cette même famille, a déclaré au téléphone à l’AFP Mayane Nassif, l’une des proches des victimes.
Jusqu’à présent, les restes de sept des 10 pompiers qui se sont précipités au port de Beyrouth le 4 août pour éteindre l’incendie ont été retrouvés.
Jeudi, les secouristes avaient également retrouvé le corps d’un homme au volant de sa voiture repêchée dans le port.
Catastrophe de trop pour des Libanais déjà éreintés par une crise économique, l’explosion a relancé le mouvement de contestation déclenché à l’automne 2019 contre la classe politique, accusée de corruption, d’incompétence et de négligence.
Face à la colère de la rue, le gouvernement du Premier ministre Hassan Diab a démissionné lundi, après avoir été formé en janvier par un seul camp politique, celui du Hezbollah pro-iranien et de son allié, le parti du président Michel Aoun, le Courant Patriotique Libre.
Son successeur doit être nommé par le chef de l’Etat, de plus en plus décrié, sur la base de consultations avec les blocs parlementaires représentant les partis politiques traditionnels que le mouvement de contestation rejette.
– Pas d’enquête internationale –
Le sous-secrétaire d’Etat américain pour les Affaires politiques, David Hale, qui a rencontré vendredi le président Aoun, a appelé dès son arrivée jeudi à Beyrouth à la formation d’un gouvernement répondant « qui répond à la volonté de son peuple et s’engage véritablement et agit pour la réforme ».
La France, dont la ministre des Armées a également été reçue vendredi par M. Aoun, fait elle aussi pression en ce sens. Florence Parly devait ensuite accueillir le porte-hélicoptères Le Tonnerre, apportant aide alimentaire et matériaux de construction.
Les autorités libanaises ont nommé le juge Fadi Sawan, connu selon des sources judiciaires pour son indépendance et sa probité, pour mener l’enquête sur les causes de l’explosion.
Mais ce n’est pas lui qui interrogera plusieurs ministres, anciens et actuels, au sujet du nitrate d’ammonium stocké au port: ils devront comparaître devant une instance spéciale.
Jeudi, David Hale a annoncé que la police fédérale américaine (FBI) allait se joindre aux enquêteurs « à l’invitation » des autorités libanaises. Paris a de son côté ouvert une enquête.
Les autorités libanaises rejettent une enquête internationale, malgré les voix qui s’élèvent au Liban et à l’étranger en sa faveur. Des experts de l’ONU ont réclamé une enquête indépendante et rapide, exprimant leur inquiétude devant « l’impunité » dont bénéficient selon eux les responsables politiques libanais.