Nouvelle journée clé dans l’affaire Benalla: le Sénat décide jeudi s’il saisit la justice non seulement du cas de l’ancien collaborateur de l’Elysée, mais aussi de ceux de trois hauts responsables de la présidence mis en cause dans le rapport accablant de sa commission d’enquête.

Téléscopage de l’actualité, Alexandre Benalla a écopé mercredi soir de nouvelles mises en examen concernant d’autres faits de violences en marge du défilé parisien du 1er-Mai et pour l’épisode du selfie le montrant avec une arme.

Au Sénat, son sort, ainsi que celui de son acolyte et ex-salarié LREM Vincent Crase, semble déjà scellé.

Le président de la commission d’enquête Philippe Bas (LR) et les corapporteurs Muriel Jourda (LR) et Jean-Pierre Sueur (PS) ont demandé au Bureau du Sénat « de saisir le ministère public » de leurs déclarations sous serment, « susceptibles de donner lieu à des poursuites pour faux témoignage ».

Mais sont également nommément mis en cause le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, le directeur de cabinet Patrick Strzoda, et le chef du groupe de sécurité de la présidence, le général Lionel Lavergne.

Des personnalités dont la proximité avec Emmanuel Macron confère une dimension politique à la décision que rendront les sénateurs.

La saisine de la justice est demandée pour ces trois collaborateurs du chef de l’État afin de vérifier « un certain nombre d’omissions, d’incohérences et de contradictions » relevées lors de leurs auditions sous serment. Ils auraient « retenu une part significative de la vérité ».

Le Bureau du Sénat, l’équivalent d’un conseil d’administration, se réunira à 8H30. Il compte 26 membres: 10 LR, 6 PS, 5 centristes, 2 RDSE (à majorité radicale), dont un devrait être absent, 1 LREM, 1 CRCE (à majorité communiste) et 1 Indépendant.

Il se prononcera à main levée « très sereinement », a assuré le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), qui prendra part au vote.

Mais dans un contexte de défiance de l’opinion publique vis-à-vis des politiques, et d’un rapport de force entre l’Elysée et la chambre haute, dominée par l’opposition, sur l’avenir des institutions, l’enjeu est conséquent.

– « Hara-kiri » –

Les chefs de file des Républicains, Bruno Retailleau, et des socialistes, Patrick Kanner, poussent pour que le Bureau transmette à la justice y compris les cas des collaborateurs de l’Elysée.

« Le plus grave, ce serait que le Sénat donne à penser qu’on fait payer les lampistes et qu’on exonère les autres », estime M. Retailleau.

M. Retailleau, comme M. Sueur, rappellent que la décision de saisir la justice ne vaut pas « condamnation ». « Tout le monde est présumé innocent, ce sera à la justice d’enquêter », souligne M. Sueur.

Les centristes sont eux sur une autre logique. « Il peut y avoir des omissions, des inexactitudes, mais est-ce qu’il y a faux-témoignage au sens pénal ? », interroge Vincent Capo-Canellas, membre du Bureau.

Il invite à « ne pas instrumentaliser le Sénat pour régler des comptes avec Emmanuel Macron », ajoutant « faire confiance à Gérard Larcher pour proposer une solution ».

Mercredi, chacun se comptait encore, personne ne voulant prendre le risque d’un pronostic.

« C’est le flou total », jugeait Eric Bocquet, seul représentant du CRCE au Bureau, qui prévoit « quelques abstentions ».

S’il refusait de transmettre ces dossiers à la justice, « le Sénat se ferait hara-kiri », juge-t-il. « Ca voudrait dire derrière conciliabules, copinages ».

« Je pense que le président Larcher aura une influence décisive », estimait de son côté Jean-Marc Gabouty, membre RDSE du bureau, qui juge « contestables » les conclusions de la commission sur les cas Kohler, Strzoda et Lavergne.

Rien n’a filtré de la position de M. Larcher. « On ne dira que le droit, rien que le droit, tout le droit », s’est-il borné à déclarer.

« Ca dépasse les questions d’équilibre politique », estime un ministre, pour qui les sénateurs « vont regarder ce que dit le droit ».

« Larcher tient une ligne depuis des années: le Sénat est utile quand il est crédible », ajoute-t-il.

Le délit de « faux témoignage », qui porte d’ordinaire sur des déclarations dans une enceinte judiciaire, est passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende.

Le seul précédent à ce jour de saisine du Parquet pour faux témoignage devant une commission d’enquête parlementaire est celui en 2016 du pneumologue Michel Aubier, dont l’affaire est toujours devant les tribunaux.