« C’est une enquête à charge, uniquement à charge », regrette Cécile Delpal, dont le mari Philippe, un banquier français, est en détention provisoire depuis février en Russie dans l’attente d’un procès controversé pour fraude.

L’arrestation mi-février de six employés du fonds d’investissement Baring Vostok, l’un des principaux de Russie, dont son fondateur américain Michael Calvey et le Français Philippe Delpal avait secoué les milieux d’affaires occidentaux dans le pays.

Si les investisseurs présents en Russie sont rompus aux rebondissements judiciaires, politiques et diplomatiques rejaillissant sur la vie économique, ils ont été ébranlés par le placement derrière les barreaux de ces vétérans d’un marché souvent houleux.

Soupçonnés d’être à l’origine d’une fraude d’au moins 2,5 milliards de roubles (environ 33 millions d’euros), ils clament leur innocence et évoquent une simple dispute commerciale entre actionnaires. Philippe Delpal, 46 ans, avait dénoncé en avril des « accusations honteusement mensongères ».

Le matin du 14 février, « à peine levés, quelqu’un a sonné à la porte. Quand j’ai ouvert, je me suis retrouvée face à dix hommes, ils m’ont dit qu’ils étaient du FSB et qu’ils venaient voir Philippe Delpal », se souvient Cécile Delpal, en référence aux redoutés services de sécurité russes.

« Ce qui me heurte le plus c’est que je crois en la justice, et là je m’étonne de plus en plus, d’audience en audience », affirme cette ingénieure en informatique de formation, qui habite en Russie depuis quinze ans avec son mari et leurs deux filles adolescentes.

« C’est toujours choquant (les audiences) car on entend beaucoup nos avocats et Philippe s’exprimer (…) et les avocats adverses ne répondent pas, ne disent rien », affirme-t-elle. « On se sent complètement dépassés ».

 – « Monté de toutes pièces » –

Lors de la dernière audience, le 21 mai, la justice russe a décidé de maintenir en détention provisoire le financier français, alors que son associé américain Michael Calvey a été récemment remis en liberté surveillée et est depuis assigné à résidence.

« Quand Mike est sorti j’ai été très contente. Enfin quelque chose qui avance, enfin une preuve que ce dossier est monté de toutes pièces », se réjouit Cécile Delpal, disant toutefois « ne pas expliquer cette différence de traitement ». Une nouvelle audience doit avoir lieu d’ici le 13 juillet.

« Ils ont dit que Philippe ne parlait pas russe contrairement à Mike — c’est un argument irrecevable, la justice doit être la même quelle que soit la langue que l’on parle », plaide-t-elle.

« Ils disent qu’il pourrait s’enfuir, mais on habite là depuis quinze ans, notre vie est ici », assure Cécile Delpal, dont les filles de 13 et 16 ans sont bilingues. « On est très heureux ici ».

Pour autant, l’affaire « finira bien », espère la femme de 47 ans. « Cela ne peut que bien se terminer. Les rapports sont formels: c’est une affaire commerciale qui n’a rien à faire au pénal ».

Si son mari est détenu dans de « bonnes conditions », la famille regrette de ne pouvoir lui rendre visite ou lui parler au téléphone, et indique avoir lancé des appels à l’aide à des responsables politiques français, ainsi qu’à la première dame Brigitte Macron.

« Je sais que le dossier est suivi au niveau des autorités françaises ici à Moscou mais aussi en France, à un haut niveau, on ne m’en dit pas plus », indique-t-elle.

 – « Dispute commerciale » –

Lors d’une visite à Moscou en avril, le PDG de Total Patrick Pouyanné avait dit vouloir aborder la question avec le président russe Vladimir Poutine.

De source diplomatique, l’ambassadeur de France en Russie devrait se rendre au Forum économique de Saint-Pétersbourg début juin, contrairement à l’ambassadeur américain John Huntsman, qui proteste ainsi contre les poursuites visant Mike Calvey.

Malgré son assignation à résidence, « Michael Calvey est également inscrit en tant que participant et espère prendre part à l’événement », a indiqué lundi dans un communiqué le fonds Baring Vostok, disant vouloir soumettre prochainement une demande officielle en ce sens.

Pour Baring Vostok, ce Forum « sera une bonne occasion de (…) répondre aux questions des représentants du monde des affaires et des autorités russes ». Le fonds espère ainsi convaincre que ses « adversaires dans une dispute commerciale ont abusé du système de justice russe pour tenter d’atteindre leurs objectifs ».