« Voilà trois mois que l’eau est partie dans mon quartier! »: Marcelin, tuyau à la main, remplit ses bidons nonchalamment. De part et d’autre d’un petit kiosque bleu du quartier Lakouanga de Bangui, en Centrafrique, les bidons jaunes entassés forment un véritable mur.

Marcelin vient du 4e arrondissement, à une dizaine de km de Lakouanga. Dans son quartier comme dans de nombreux autres de Bangui, l’eau a disparu: plus rien ne coule du robinet et les puits sont vides.

Alors, autour de ce point d’eau public, deux jeunes hommes s’affairent à décharger, remplir et recharger les bidons sur des triporteurs de fortune.

Cette pénurie d’eau, qui dure, énerve les habitants, dont certains ont lancé une campagne de contestation sur les réseaux sociaux appelée « bidons jaunes », une référence à peine cachée au mouvement social français des « gilets jaunes ».

Marcelin pose son tuyau. Un jeune homme, t-shirt troué sur les épaules, tend la main derrière le comptoir du kiosque-fontaine: pour remplir un bidon, Marcelin doit payer 25 francs CFA (trois centimes d’euro) à la Société de distribution d’eau en Centrafrique (Sodeca), qui gère le point d’eau.

Dans d’autres quartiers plus éloignés que la société ne parvient plus à alimenter, les bidons d’eau peuvent se vendre 200 francs.

Plus on s’éloigne des quartiers avec eau, plus le coût augmente. C’est le cas de Bimbo, sans eau depuis deux mois.

A l’hôpital de district du quartier, « on envoie les hygiénistes acheter de l’eau vers 2h du matin à droite à gauche », raconte Joséphine Nzapali, chef des soins de l’hôpital.

Le château d’eau de l’hôpital de district est vide, et le puits à sec. « Depuis le début de la pénurie, nous ne comptons plus les cas de surinfection », s’inquiète Mme. Nzapali en tournant un robinet, vide.

Sur le sol, une flaque de sang rougit le béton. Une femme vient d’accoucher, mais pas d’eau pour nettoyer.

« Comment peut-on accoucher sans eau? Comment fait on pour nettoyer les fluides corporels? », demande la sage-femme, les mains rouges de sang.

Les infirmiers de l’établissement racontent les mêmes scènes qu’à Bangui: des jeunes à moto sous des montagnes de bidons jaunes s’en vont puiser l’eau en centre-ville.

– Vétusté et manque de moyens –

Parfois, c’est aux robinets publics comme à Lakounga, parfois sur des canalisations vandalisées. Certains particuliers qui ont encore l’eau courante la revendent aussi, au prix fort.

Joséphine Nzapali, elle, commence ses journées à quatre heures du matin, quand le soleil n’est pas encore levé, pour aller faire la queue et remplir ses bidons.

« Les problèmes avec la Sodeca, c’est chaque année, mais là les puits sont à secs », s’exclame-t-elle.

Au milieu des installations hydrauliques juchées sur une colline surplombant l’Oubangui, le directeur technique de la Sodeca, Eric Megalos-Dima, pousse un long soupir: « Par où commencer… disons que le problème est multifactoriel ».

Vétusté des installations, guerre, manque de moyens… Les problèmes sont nombreux pour l’entreprise dont les installations ont été construites par l’Etat en 1976, quand la ville n’abritait que… 500.000 personnes.

Aujourd’hui, il y au bas mot 1,5 million d’habitants à Bangui.

« Sur les cinq pompes initiales, seulement trois fonctionnent; sur les trois conduites d’eau brutes, une seulement est utilisable; il y a des fuites sur tout le réseau, et l’insécurité empêche la réparation », détaille Eric Megalos-Dima.

Et en saison sèche, les pompes ont plus de difficulté à fonctionner et la situation empire.

Les années précédentes, quand les pluies venait à manquer, les Banguissois se rabattaient sur les nombreux puits et forages individuels.

« Mais cette année la sècheresse dure et les puits sont taris », estime le directeur technique. « Le réchauffement climatique se fait sentir, chaque année ça empire. Il est urgent de faire de nouveaux forages ».

Le 12 mars, le gouvernement a annoncé la mise en place de citernes d’eau dans les quartiers hauts de la capitale, et la mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca, 12.000 Casques bleus) la distribution d’eau dans certains quartiers.

En attendant, un autre habitant de la capitale attend à Lakouanga de remplir ses bidons. « Depuis ce matin je cherche de l’eau au lieu de travailler », râle-t-il. « L’eau c’est la vie! Sans eau on ne peut pas vivre… ».